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Nouakchott : au carrefour de la Mauritanie et du monde

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Karthala, PRODIG edition, (2009)

Abstract

Nouakchott n'est plus une petite ville peuplée d'anciens nomades sédentarisés, perdue dans les confins saharo-sahéliens. Elle s'affirme aujourd'hui comme une importante capitale ouest-africaine pleinement entrée dans la mondialisation. Avec ses 800 000 habitants, Nouakchott est le miroir des mutations profondes que connaît la Mauritanie contemporaine. Erigée ex nihilo en 1957 pour accompagner la naissance de la République islamique de Mauritanie, elle reste une jeune capitale, fabriquée tant bien que mal par le pouvoir dont elle a pu refléter les ambitions. Mais au fil des années, les Mauritaniens de toutes les régions du pays se sont approprié cette ville et ont ainsi contrebalancé la fabrique urbaine étatique. Objet politique créé de toutes pièces et objet social remodelé dans la quotidienneté des échanges, ce sont donc deux destins qui sont mis ici en parallèle : celui d'une ville et celui d'une société, qui se politisent simultanément et se construisent tant dans la complémentarité que dans l'opposition.

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  • @karen-che

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  • @sixtine
    5 years ago (last updated 5 years ago)
    Fabriquer une ville-capitale, logiques politiques et dynamiques sociales 1. De la capitale projetée à la réalité de la ville Jusque tardivement considérée comme une simple émanation du Sénégal, la Mauritanie n’attire que peu le pouvoir colonial. A cette époque, tout est basé à Saint-Louis ; Nouakchott est un simple fortin, simple arrêt sur la piste n°1 qui relie Saint-Louis à Atar. C’est le 12 juin 1957, la veille de l’indépendance, que le futur premier président du pays décrète Nouakchott comme capitale de la Mauritanie. L’emplacement se veut stratégique, à la limite de la Mauritanie blanche et de la Mauritanie noire. Dès 1957, on considère que « Nouakchott sera en marge des grands courants économiques mais suffisamment proche des centres miniers » pour assurer un rôle –pilote et rester confrontée à la résolution des problèmes ruraux qui peuvent apparaître dans le pays. A la fin des années 1970, des épisodes de sécheresse poussent une grande partie des nomades à trouver refuge dans la capitale et à s’y installer de façon plus ou moins durable. Cette explosion démographique, non prévue, met de plus en plus en évidence des dysfonctionnements structurels ; entraînement d’une crise urbaine qui se manifeste par la « désorganisation totale ou partielle des systèmes d’encadrement officiels et le dénuement des institutions urbaines face à des besoins croissants, parfois à des revendications citadines rigoureuses, voire à des manifestations violentes » (Jaglin, Dubresson, 1993). La question foncière est également récurrente ; l’acquisition de terrains pour des sommes symboliques va rapidement faire l’objet de spéculations foncières particulièrement importantes. Alors que la construction d’un Etat post-colonial coïncide avec un phénomène d’urbanisation accélérée, phénomène non-prévu par des autorités qui ont néanmoins cherché le processus de sédentarisation (considéré alors comme inhérent au processus de développement, voire de civilisation), Nouakchott se dote d’un grand nombre de plans sans vision réelle de planification, et surtout une minimisation de l’impact des nouveaux arrivants sur le territoire. Les bidonvilles vont, dès 1975, composer l’essentiel du paysage urbain, ce que l’on appelle les kebbe, qui vient de la racine arabe ker, déverser : « une image de dépotoir qui cependant trouve à se motiver moins par la nature des terrains en cause que par référence à l’histoire des habitants de ces quartiers et à la façon dont ils sont traités » (Poutignat, Streiff-Fénart, 2001). Dans la réponse du gouvernement et de la spéculation foncière qui va en émerger apparaissent également les gazzra qui, à la différence des kebbe, représentent des quartiers de bidonvilles mais ne concentrent pas nécessairement les couches les plus vulnérables de la population. Aucun obstacle physique ne s’oppose à l’extension spatiale de Nouakchott, mais l’organisation des réseaux et des infrastructures n’est pas pensée dans une logique d’extension. En 30 ans, la superficie de la ville est passée de 6600 ha (1950) à 38 850 ha (1980). Le centre de la ville migre de la Grande Mosquée (entre le Ksar et Capitale) au carrefour Madrid. « Les années qui suivent les sécheresses sont marquées par un certain laxisme des autorités devant l’urbanisation massive de Nouakchott, en passe de devenir une capitale macrocéphale » (Choplin, 2009). Le Nouakchott d’aujourd’hui est un espace fragmenté. Division classique entre l’élite politique et économique et la majorité des urbains disséminés dans les quartiers périphériques, avec des disparités notables en termes d’infrastructures, Nouakchott concentre « l’affirmation exacerbée des différences sociales, ethniques et économiques » (Choplin, 2009). Ces critères peuvent même être à l’origine d’une typologie des quartiers : présence d’infrastructures, type d’habitat (villa, appartement, maison en banco, baraque en bois, etc.) et statut foncier des occupants. 2. De la manipulation de la capitale : Nouakchott du centre Dans une ville dénuée d’histoire, la quête identitaire de Nouakchott apparaît comme primordiale. « Donner une identité à la capitale est une condition sine qua non de l’existence de l’Etat nouvellement indépendant » (Choplin, 2009). L’accompagnement de la construction nationale et de la mise en valeur des identités sont d’autant plus accentués du fait que la Mauritanie a une double appartenance : appendice du monde arabe et frange septentrionale de l’Afrique subsaharienne. A partir des années 1970, avec les politiques d’arabisation, Nouakchott tend à se confondre avec la culture maure, notamment avec l’appui des Beydans (maures blancs) qui dirigent le pays. Durant les premières années post-coloniales, la Mauritanie tente de jouer sa position de trait d’union entre mondes arabe et subsaharien, par la conciliation de son hétérogénéité ethnique « teintée d’arabité et d’africanité » (Baduel, 1990). A partir de 1973, date de son entrée au sein de la Ligue arabe, elle prend de la distance avec la France et intensifie ses relations avec l’Algérie, la Libye ou encore l’Irak. Elle se retire également de l’Organisation commune africaine et malgache, en 1965. La rébellion menée par le Front Polisario à partir de 1975, qui aboutit à la Guerre du Sahara, positionne la Mauritanie sur un partage du Rio de Oro avec le Maroc, et entraîne un enlisement du conflit ainsi qu’une marginalisation du pays, notamment vis-à-vis de l’Algérie. L’entrée de la Mauritanie dans le conflit sahraoui introduit une « auto-déstabilisation du régime civil » (Baduel, 1990). Le gouvernement de Dadah est renversé le 10 juillet 1978 par un coup d’Etat militaire. Haïdallah propose en 1983 le rattachement de la Mauritanie au Grand Maghreb, et l’idéologie arabe ainsi que le panarabisme reviennent dès lors au cœur du processus identitaire. L’histoire du pays est revisitée, passant sous silence l’origine berbère de certaines tribus et survalorisant les ascendances arabes, notamment la période almoravide. L’arabe est considéré comme langue officielle dès 1978, entraînant des troubles qui permettent de reconnaître, en 1980, le pulaar, le soninké et le wolof comme langues nationales. De même, l’arabisation de l’enseignement (amorcée dès 1966) entraîne une bîdanisation des recrutements, notamment dans l’administration. Avec la création du Front de libération des Africains de Mauritanie (FLAM, 1985), les tensions inter-ethniques augmentent encore d’un cran ; la tentative de coup d’Etat avortée en 1988 concourt également à l’éclatement des « Evènements » de 1989, sur fond de la remise en cause de la réforme foncière de 1983. Dans ce contexte, Nouakchott sert de point d’ancrage physique à cette politique d’arabisation ; déploiement des symboles urbanistiques (toponymie des rues), panneaux publicitaires en arabe, édifices religieux (symboles d’un pays arabe et musulman, dont les deux principales mosquées apparaissent quelque peu démesurées au regard du nombre d’habitants). « Manipuler la capitale participe de la manipulation de la mémoire nationale puisque Nouakchott est devenue un outil de domination sur les autres groupes exclus de cette représentation territoriale et identitaire. Cette domination est facilitée par le fait que Nouakchott s’inscrit au cœur des réseaux dirigeants qui rayonnent en ce lieu, pour mieux rayonner par la suite sur le reste du territoire national « (Choplin, 2009). Neuf fois plus importante en termes de population que Nouadhibou, deuxième ville du pays (en 2009), Nouakchott est plus un espace de services qu’un lieu de production, notamment industrielle. Son économie s’appuie davantage sur ses ressources naturelles (mines et pêches) que sur son industrie. Cette situation a un impact, notamment sur l’emploi des jeunes, ce qui conduit à favoriser son emprise sur l’hinterland et à asseoir sa position macrocéphalique. Mais, comme le rappelle l’auteure, « si la macrocéphalie est signe de dysfonctionnement, elle n’est pas totalement pernicieuse. Le fait de surconcentrer les hommes et les activités renforce le rôle de place centrale de Nouakchott. Cette centralisation extrême permet d’intégrer des espaces marginaux. En connectant les lieux entre eux et en diffusant une certaine continuité sociale et politique, la capitale subsume la discontinuité spatiale, considérée comme l’un des principaux handicaps du territoire mauritanien. » 3. De la politisation de la ville : Nouakchott des marges Cette image éclatée que l’agglomération renvoie est-elle le résultat d’évènements purement conjoncturels, de type sécheresse, qui auraient entraîné un regroupement des gens par affinité, ou bien est-elle la conséquence d’une certaine volonté politique de mettre à distance certaines composantes sociales et d’entretenir cette rupture ? En d’autres termes, la présence de marges et de marginaux est-elle fortuite ou une construction délibérée ? « La ville produit et diffuse certaines pratiques et modes d’être à l’espace urbain, ainsi que des référents sociaux conditionnés par le pouvoir et en retour, la société urbaine recréée des comportements susceptibles de transformer ce support à qui elle donne du sens » (Choplin, 2009). La ville n’est plus uniquement un support matériel de vie quotidienne, mais également le lieu d’émergence d’une conscience civique. La construction de la marginalité de certains espaces à Nouakchott ne peut se comprendre qu’à partir des modes d’appropriation et de leur revendication, couplée d’une labellisation ethnique des espaces. Initialement, Nouakchott est une ville par défaut. Ville de migrants par excellence, notamment à la suite des épisodes de sécheresses des années 1970, ses néo-habitants ont cependant dû se résoudre à y tisser de nouveaux réseaux sociaux, ainsi qu’à y développer, in fine, un sentiment d’appartenance vis-à-vis de celle-ci ; du moins, de ses portions. Si l’arrivée de nouveaux migrants permet de s’appuyer sur un réseau communautaire existant (ce qui n’est pas toujours le cas, l’intégration et la prise en charge du nouveau venu par ses proches n’est pas systématique), Capitale abrite à ses débuts principalement les fonctionnaires venus de Saint-Louis du Sénégal. Le Ksar quant à lui accueille les commerçant Beydans et des populations Haratines. Les quartiers tels Cinquième et Sixième, plutôt vers le sud de la ville, sont plutôt constitués des populations du fleuve Sénégal. C’est vraiment dans les quartiers les plus périphériques, sous-équipés, que les populations Haratines les plus pauvres s’installent. Avec la mobilité croissante des individus, les regroupements communautaires sont moins systématiques, principalement pour les classes aisées. Les plus pauvres sont en revanche circonscrits à leur espace de vie proche et conditionnés par leur environnement immédiat. L’identité « nomade » de la ville tend donc à disparaître au profit de critères beaucoup plus économiques et sociaux. La notion de territoire est étroitement liée à un sentiment d’appartenance. Dans le cas de Nouakchott, la ville, du moins sa représentation, tend à être rejetée, tandis que la brousse est complètement mythifiée. Cependant, le sentiment d’appartenance existe à Nouakchott, mais se concentre à l’échelle du réseau domestique, voire du quartier. La sociabilité est très marquée lorsque la nuit tombe et que les familles se visitent les unes les autres. Dans les quartiers négro-mauritaniens, la sociabilité se présente un peu plus dans les cours ou dans les rues face aux concessions. Par ailleurs, l’image faite de Nouakchott est bien souvent segmentée, se rattachant à l’espace connu (le quartier), auquel des noms viennent s’y attacher pour renforcer le sentiment d’appartenance (supermarché Chinguetti, garage Kaédi, etc.). Cependant, lier l’attachement du territoire ne peut pas s’expliquer que d’une façon culturaliste (liée également à des caractéristiques géographiques des espaces) ou simplement rationnelle (proximité du centre-ville). Il faut également relier cette logique à un fort processus identitaire, conséquence des « Evènements de 1989 ». Si le point de départ est présenté comme un problème foncier dans le sud du pays, le conflit a eu pour conséquences, entre autres, de profondes recompositions spatiales, au sein-même de la capitale. Parler de ségrégation ne serait pas approprié, en l’absence d’une volonté politique affichée et ségrégatrice, comme cela a pu être le cas en Afrique du Sud. Cependant, la politique d’arabisation a eu pour conséquence de produire des entités spatiales à dominance ethnique. De ce constat, on note également l’absence d’espaces publics, en tant qu’espaces accessibles à tous ; cependant, l’espace public, ou public sphere, en tant qu’espace à valeur sociale, se retrouve dans les édifices religieux et aux marchés. Peu nombreux, ils invitent néanmoins les Nouakchottois à « imaginer d’autres lieux de rencontre ». Ainsi, la construction de Nouakchott se fait au gré des fluctuations sociales, se produit à la fois avec et contre l’Etat, vitrine politique et terreau de contestations.
  • @britesdavid
    7 years ago (last updated 7 years ago)
    Nouakchott, carrefour de la Mauritanie et du monde a été publié en 2009. Ce livre est une analyse écrite par la géographe Armelle Choplin sur la capitale mauritanienne, laquelle est née en 1958 (de toute pièce) et a depuis connu un essor incroyable. Elle y traite de l’évolution singulière et à la construction de Nouakchott, érigée en 1958 « capitale de la République islamique de Mauritanie » et qui est en passe aujourd’hui de constituer la plus importante agglomération du Sahara. Le 28 novembre 1960, le pays devient indépendant, sous le nom de République islamique de Mauritanie. À ce stade, un panorama ethnique de la Mauritanie est nécessaire. On peut distinguer cinq groupes ethnolinguistiques dans le pays. Trois d’entre eux sont dits négro-mauritaniens : les Halpulaar’en, les Wolofs et les Soninkés. Les deux autres, Maures blancs et Maures noirs, parlent une même langue, le dialecte arabe dit hassâniyya. Les Maures blancs sont en fait pour l’essentiel des Berbères arabisés au fil des siècles : les Arabes venus de l’Est ont progressivement imposé leur domination sur les tribus berbères pour finalement se mélanger avec elles au XVIIème siècle. Le dialecte berbère s’est largement perdu, et à peine en subsiste-t-il des résidus dans quelques villages reculés. Les Maures blancs sont indistinctement qualifiés aujourd’hui d’Arabes, de Berbères, ou d’Arabo-berbères. Alors, d’où vient le Maure dit noir ? Car on distingue bien le bidân (« blanc ») au Sûdân (littéralement « noir »). Pour rappel, l’introduction de l’espace mauritanien dans le monde arabe a vu les populations arabo-berbères, durant treize siècles, opéré des razzias et asservir les populations noires. Le Bilâd as-Sûdân (« pays des Noirs ») était alors perçu comme une réserve d’esclaves à importer dans le monde islamique pour ensuite les islamiser. De cette réalité est issue l’actuelle communauté des Maures noirs, ou hartâni (harâtîn au pluriel, soit les esclaves affranchis, auxquels il faut ajouter ceux qui perdurent dans la condition d’esclave, ‘abd). 1) La première partie est consacrée à l’analyse de la « fabrique » de Nouakchott. La capitale mauritanienne qui naît en 1958, à la veille de l’indépendance, doit servir les objectifs du pouvoir, tout d’abord unir et faire se rencontrer les différentes communautés nationales, bref être une vitrine de la nation en construction. Pour autant, elle ne prévoit pas un afflux de population, et pour cause, ses conditions de vie n’attirent initialement pas beaucoup, et les fonctionnaires venus de l’ex-capitale coloniale (délocalisée à Saint-Louis du Sénégal) s’installent à Nouakchott avec réticence. Il faut dire que le choix du poste de Nouakchott pour accueillir la nouvelle capitale n’a aucunement pris en compte le milieu, alors que le sable (ceinture de dunes), le sel (dépression salée), l’eau (inondations) et surtout le manque d’eau (la nappe devant approvisionner la ville est distante de 80 km) menacent la capitale. Les notes trouvées sur le plan d’urbanisme original de 1957 disent : « Ce sera une capitale administrative […]. Son développement restera limité, mais avec un plan d’urbanisme bien fait, Nouakchott pourra devenir une ville agréable. » Pourtant, les plans d’urbanisme sont systématiquement mis à mal. On tablait sur 8 000 habitants en 1970, il y en a finalement 70 000. La population se multiplie par plus de cent en 40 ans. De 600 habitants en 1958, elle en compte 800 000 à l’horizon 2000. Les sécheresses successives ont décimées les troupeaux. En soi, les sécheresses ne sont pas un phénomène nouveau, mais celle de 1974 marque un point de non-retour et l’éclatement des sociétés nomades et pastorales. De 80% de nomades en 1970, on passe à quelques 7% résiduels à la fin du XXème siècle. En l’an 2000, la population mauritanienne vit à plus de 60% en milieu urbain. Le centre-ville s’organise autour de deux avenues, en forme de croix : au nord de l’avenue Abdel Nasser, les îlots résidentiels et les bâtiments officiels, au sud la médina (au sens de « quartier africain », comme observé à Dakar à l’époque), la zone « indigène ». À l’est des avenues Kennedy et de Gaulle, on trouve les services publics : les ministères, ou encore l’université. En bref, Maures au nord, Négro-mauritaniens au sud, Haratines (Maures noirs, anciens esclaves) dans les périphéries. Le pouvoir s’arabise progressivement, aux dépens des groupes négro-mauritaniens. Progressivement, les Maures remplacent les anciennes élites noires dans l’administration, et une véritable bidânisation (recrutement de Maures blancs) a lieu dans la fonction publique. La mythification de l’arabité et le rapprochement avec le monde arabe font dire aux Maures qu’ils sont les seuls dépositaires du savoir religieux, qu’ils s’en réservent la suprématie. Dans la propagande d’État et les manuels scolaires, l’histoire est revisitée : l’origine berbère de certaines tribus est mise sous silence, les ascendances arabes sont survalorisées, voire inventées (rôle des Almoravides, filiation yéménite…), les raccourcis et omissions se multiplient, sans parler de la marginalisation de l’histoire des groupes négro-mauritaniens. L’arabisation de l’État passe évidemment aussi par l’école, les programmes scolaires et les choix linguistiques. Des troubles interethniques apparaissent, alors que l’arabe est devenu langue officielle en 1978. En 1980, le Comité militaire de Salut national alors au pouvoir est poussé à reconnaître le pulaar, le soninké et le wolof comme « langues nationales ». Entre filières arabisantes et celles dites bilingues (avec la primauté conférée au français), la jeunesse ne partage désormais plus les mêmes bancs d’école. Même la capitale est un outil politique pour les Maures, qui cherchent à s’approprier l’espace public, comme l’a très bien décrit la géographe Armelle Choplin, qui explique dans Nouakchott, carrefour de la Mauritanie et du monde (2009), comment, « à partir des années 1970, le régime met tout en œuvre pour que [la ville] apparaisse comme la capitale des bédouins et que la Mauritanie se confonde avec la seule terre des Maures. Manipuler la capitale participe de la manipulation de la mémoire nationale puisque Nouakchott est devenu un outil de domination sur les autres groupes exclus de cette représentation territoriale et identitaire. » Au fil des années 1980, l’arabe remplace le français dans l’espace public, dans les panneaux, sur les publicités, etc. Les moquées marocaine et saoudienne dominent visuellement une partie du centre-ville. Au Centre culturel égyptien, bâti en 1964, s’ajoutent à partir des années 70-80 les centres culturels syrien, irakien, libyen ou encore marocain. Les noms des rues, des quartiers et des communes de Nouakchott sont d’inspiration arabe : Tevragh-Zeïna, Dar Naïm, El Mina, Arafat, Bagdad, Nasra… Pour autant, Armelle Choplin refuse de considérer Nouakchott comme « une ville de nomades », d’abord parce que sa dimension « bédouine », issue de l’arrivée de milliers de nomades dans les années 70, est largement surjouée aujourd’hui, ensuite parce que cet élément de propagande vise à donner de la capitale une image « bidânisée », ou « arabisée », alors que les communautés négro-mauritaniennes, tout comme les Haratines, font partie intégrantes de la ville. L’idée selon laquelle certains quartiers, comme le Vème et le VIème, seraient des quartiers d’immigrés ouest-africains, vise d’ailleurs à considérer comme étrangères les populations négro-mauritaniennes qui les peuplent majoritairement. Armelle Choplin vient donc, à raison je pense, présenter Nouakchott comme le lieu de convergence de toutes les communautés nationales, d’abord parce que les lieux de rencontre sont considérables, en dépit de politiques nationales et locales qui ne favorisent pas la mixité ethnique (cours arabisés à l’école ou l’université, etc.) ; ensuite et surtout parce que Nouakchott est devenu un lieu de jonction avec l’ensemble du pays. Nombreux sont celles et ceux qui multiplient les allers et retours entre la Baddiya (brousse) et la capitale, faisant office de lien voire de contrôle entre capitale et province. La gestion de sa croissance est un défi formidable pour les autorités, de même que la ségrégation spatiale, qui se perpétue depuis 1958 et n’a fait que s’accentuer ces dernières années. On observe à Nouakchott tous les stigmates de la ville duale, tant sur le plan de la partition spatiale que sur ceux des fragmentations sociale et ethnique. 2) La deuxième partie est consacrée à l’examen des rapports de Nouakchott avec le reste du monde. La ville est à la fois fortement isolée en termes de modes de transports des autres grands centres urbains de la régions : Dakar, Marrakech, Casablanca, Bamako, mais cette réalité s’est considérablement améliorée ces dernières années. Outre la construction d’un nouvel aéroport dans les années 2010, on notera dans les années 2000 la construction (enfin !) d’une route reliant Nouakchott à Nouadhibou, la seconde ville du pays, située à la frontière du Sahara marocain, et qui complète l’axe Noaukchott-Rosso-Saint-Louis qui relie les capitales mauritanienne et sénégalaise. Nouakchott est par ailleurs devenue une ville d’accueil d’une immigration non-négligeable : les Centrafricains, les Congolais ou encore les Ivoiriens viennent y côtoyer les Sénégalais et les Bissau-Guinéens déjà présents depuis longtemps dans le pays. La ville connaît un phénomène de métropolisation important, ce qui lui donne une nouvelle aura internationale, mais accentue les défis. Le livre d’Armelle Choplin a le mérite de présenter un tableau complet de l’évolution de l’agglomération de Nouakchott au travers des jeux, enjeux et confrontations des stratégies multiples et souvent antagonistes qui se déroulent et aboutissent à façonner un espace urbain singulier. Et Nouakchott, carrefour du monde ? Là, Armelle Choplin parle de la capitale mauritanienne sous le prisme de son africanité et du globe. La ville connaît les tares de développement fréquemment observées en Afrique, notamment l'intervention des bailleurs étrangers, Banque Mondiale et FMI en tête. Elle se veut une ville globalisée et connectée au monde, là encore la réalité ne correspond pas à ce que le régime veut en faire. Nouakchott est une jeune capitale qui doit encore faire beaucoup pour répondre aux besoins de ses habitants et se présenter comme une capitale moderne et globalisée. La création de la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN) en 2001 ? Elle ne remet pas en cause le prisme arabisant des politiques d'aménagement, largement favorables aux quartiers du nord de la ville, plutôt peuplés de Maures blancs, pas plus qu'elle ne vient améliorer la gouvernance urbaine et les orientations politiques et économiques locales. À mon sens, Armelle Choplin néglige peut-être les crises institutionnelles récemment intervenues, depuis 2005, en Mauritanie, sur le processus de décision et l’urbanisation à Nouakchott. Bien qu’encore présentes, les expulsions de populations de gazra et de kebbe (les deux sortes de bidonvilles existants) se sont ralenties ces dernières années, et il aurait été intéressant d’analyser les éventuelles nouvelles approches du pouvoir démocratique (2007-2008) puis du pouvoir militaire désormais en place depuis 2008-2009 ; ainsi que sa vision des plans d’urbanisme, dans la mesure où cet outil a toujours échoué à être opérationnel à Nouakchott.
  • @davidbrites
    8 years ago
    Cet ouvrage a été publié en 2009, par Armelle Choplin, docteur en Géographie à l'Université Paris I. L'auteure analyse l'évolution de l'urbanité de Nouakchott au regard de la dimension transitoire de ses évolutions. En effet, la ville n'est pas planifiée en tant que telle par les autorités étatiques ou locales, celles-ci ne cessent de "courir" derrière des bouleversements migratoires, sociologiques et urbains qui les dépassent. Alors que Nouakchott a été fondée pour sa position géographique, son site n'est pas idéal pour la construction de bâti. La construction de la ville s'est faite à la base sur un modèle ségrégationniste de type colonial, et finalement elle a connu des transformations profondes, notamment un étalement considérable depuis 1958 (date de sa création), car elle a concentré la venue de nomades en cours de sédentarisation. Les autorités n'ont cessé de courir derrière cette "légalisation" des habitats informels qui se sont formés au fur et à mesure de la venue de nouvelles populations. Paradoxe : alors que la Mauritanie, dont Nouakchott, est largement multiethnique et multiculturelle, avec notamment les Maures (blancs et noirs), c'est-à-dire des berbères (biden) et des noirs (haratines) arabisés, mais aussi des Soninkés, des Wolofs et des Peuhls, la ville a servie d'avant-garde à l'arabisation de l'État. Voilà une remise en contexte, Nouakchott carrefour de la Mauritanie. Et Nouakchott, carrefour du monde ? Là, Armelle Choplin parle de la capitale mauritanienne sous le prisme de son africanité et du globe. La ville connaît les tares de développement fréquemment observées en Afrique, notamment l'intervention des bailleurs étrangers, Banque Mondiale et FMI en tête. Elle se veut une ville globalisée et connectée au monde, là encore la réalité ne correspond pas à ce que le régime veut en faire. Nouakchott est une jeune capitale qui doit encore faire beaucoup pour répondre aux besoins de ses habitants et se présenter comme une capitale moderne et globalisée. La création de la Communauté Urbaine de Nouakchott (CUN) en 2001 ? Elle ne remet pas en cause le prisme arabisant des politiques d'aménagement, largement favorables aux quartiers du nord de la ville, plutôt peuplés de Maures blancs, pas plus qu'elle ne vient améliorer la gouvernance urbaine et les orientations politiques et économiques locales.
  • @franucci
    9 years ago
    Armelle Choplin, docteur en géographie à l’Université Paris I, est membre de l’équipe « Analyse comparée des pouvoirs » à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et elle enseigne aussi à l’Institut Français d’Urbanisme. Depuis des années, elle s’occupe des mutations au sein des villes saharo-sahéliennes, en travaillant surtout en Mauritanie et au Soudan. L’ouvrage objet de cette note de lecture est issu de sa thèse de doctorat dédiée précisément à la ville de Nouakchott, capitale de la Mauritanie qui, depuis une dizaine d’années, se voit impliquée dans des changements profonds et rapides sous le point de vue urbain, économique et socio-culturel : « Ces nombreux changements, se conjuguent, se condensent et s’expriment à Nouakchott, ville-laboratoire et ville-observatoire qui permet de lire cette phase liminaire de ‘ transe ’ ». (Choplin, 2009 : 25) Le principal objectif de l’œuvre est de comprendre comment cette ville-capitale se construit au jour le jour dans un contexte qui est à la fois local, mauritanien, africain et mondial, globalisé. Le choix de Nouakchott est due, affirme l’auteure, à sa particulière idiosyncrasie historique et géographique. En premier lieu, il s’agit d’une capitale africaine très jeune par rapport aux autres, puisqu’elle ne fut jamais une ville coloniale, mais son processus de formation fut parallèle à celui de l’indépendance du pays. À partir d’une petite fortification militaire française du début du XX siècle, Nouakchott fut créée ex nihilo à la fin des années Cinquante dans l’urgence de donner une capitale qui représente l’unité nationale du pays. Il s’agit donc du pur produit d’une volonté politique. De fait, la colonisation tardive, faible et indirecte des Français, qui occupèrent le vaste territoire mauritanien seulement pour des raisons stratégiques, laissa le pays presque sans infrastructures et sans une ville qui pouvait faire office de capitale. En plus, d’un point de vue géographique, tout comme le pays même, Nouakchott est « une capitale à la charnière saharo-sahélienne » (Choplin, 2009 : 35), circonstance qui explique la complexe composition ethnique de sa population – des bidan d’origine arabo-berbère aux différents groups subsahariens comme les halpoulaar, les wolof, les soninkés, les bambara, etc. – et les tensions qui en suivent. L’ouvrage se divise en deux parties. La première, qui sert d’introduction et de contextualisation historique, géographique, politique et socio-culturelle, se compose de trois chapitres. Ceux-ci démarrent avec l’histoire de la formation de Nouakchott pour ensuite passer à l’analyse de son actuelle morphologie urbaine, politique, économique et sociale. En particulier, il est intéressant d’observer comment la réalité urbaine et démographique de la ville a toujours dépassé les tentatives de planification de la part des pouvoirs publics, qui, sans tenir pas trop compte des caractéristiques du contexte local, ont voulu toujours appliquer des modèles urbains étrangers, sous prétexte de vouloir rendre Nouakchott une capitale « fonctionnelle » et « moderne » : « Nouakchott s’inspire donc d’un modèle totalement exogène, puisqu’elle est pensée par les administrateur français au moment de la décolonisation. Créée sur le principe de la ville fonctionnelle des années 1950 qui prédomine en Europe et non sur celui des embryons urbains préexistants, la Nouakchott des premières heures n’a rien d’une ville mauritanienne. Elle n’est alors qu’une construction (post)coloniale, intentionnellement projetée et planifiée pour appuyer la construction politique ». (Choplin, 2009 : 59) En ce qui concerne l’histoire de l’origine e du développement de Nouakchott, Choplin insiste surtout sur l’explosion urbaine soudaine et spontanée de la ville entre les années Soixante-dix et Quatre-vingt, suite à la sédentarisation massive des populations nomades poussées par des périodes de sécheresse, sur le manque de prévision des pouvoirs publics et sur l’inadéquation de plans adoptés par ces derniers. Dès là, la formation de vastes zones de bidonvilles, l’origine des forts contrastes et disparités au niveau social, économique, de l’habitat, de la densité, de la mobilité, etc. entre les différents quartiers de la ville. Il est finalement intéressante l’analyse que l’auteure fait à propos de la tendance de l’élite bidan dirigeante à donner une identité culturelle « arabe » à la capitale et à sa population. Dans ce sens, Choplin examine les différentes politiques d’arabisation de la société, du système éducatif, de l’espace public et de la forme urbaine de Nouakchott, etc., au détriment des autres composants culturels négro-africaines. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, on passe à analyser les dynamiques et les produits du processus de mondialisation dans lequel le petit contexte urbain de Nouakchott se voit de plus en plus impliqué. En particulier, on analyse les questions de la gestion urbaine et du foncier à la lumière du néolibéralisme politique et économique. Dans ce sens, un des aspects les plus intéressants est, à notre avis, celui des dynamiques qui caractérisent l’intervention économique, et par conséquent décisionnelle, des grandes institutions telles que la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International, les agences de coopération, etc. dans l’élaboration, l’adoption et la mise en place des plans urbains. Mais il faut aussi mentionner l’analyse des nouvelles formes de monopolisation et de spéculation dans le marché du foncier. Finalement, le dernier chapitre concentre l’attention sur les efforts des élites dirigeantes pour faire de Nouakchott une ville globale, en essayant de la « moderniser », de la rendre le plus attractive possible afin d’y attirer des grands flux de capitaux et de gens, surtout depuis l’Occident ou les riches pays arabes. Puis, le titre du dernier alinéa, « Nouakchott, in and out de la culture globale », reprend l’idée du même titre de l’ouvrage, en mettant en évidence cette double réalité de la capitale mauritanienne qui, vis-à-vis de la culture globale, se trouve prise à la fois entre connexion et déconnexion, attachement et détachement, attraction et répulsion : « Le rejet n’empêche pourtant pas la fascination parce que la ville est synonyme d’ouverture sur l’extérieur et de références transnationales ». (Choplin, 2009 : 301) Ainsi, selon une sorte de « schizophrénie identitaire et culturelle », on assiste d’un côté à l’idéalisation et mythification du local, du passé, de la « brousse », des traditions, etc., et, de l’autre côté, on observe une grande fascination pour les modèles et les pratiques culturels venants d’ailleurs, surtout de l’Occident. En lisant le bouquin, on voit clairement que Nouakchott, première interface du pays entre le local et le global, est une capitale qui ne fait qu’échapper à toute tentative de control et planification de la part de ceux qui voulaient en faire leur propre fabrique urbaine. En premier lieu, elle échappe parce que ses habitants, avec toutes leurs pratiques quotidiennes, ne sont pas des spectateurs passifs des mutations qui les entourent, mais ils en sont toujours été des coproducteurs. Ainsi que la première raison de l’échec des différentes planifications doit être située précisément sur l’incapacité, ou manque d’intérêt, des pouvoirs publics d’en tenir compte. La mise en place de modèles préfabriqués, qui répondent plus à des idéale qu’à la réalité urbaine nouakchottoise, ne peut qu’avoir une courte et discutable durée. Or, aujourd’hui, Nouakchott n’est pas seulement la capitale de la Mauritanie, mais aussi une ville insérée dans un processus de mondialisation inévitable qui la rend toujours plus dépendante des forces extérieures. Par conséquent, et pour terminer, aujourd’hui la construction urbaine s’articule entre trois acteurs qui ne peuvent plus s’en passer de l’autre : « Cette étendue de sable aujourd’hui urbanisée est devenue un lieu éminemment stratégique : politique car il s’agit d’une capitale, économique car le support urbain est lui-même devenu un bien marchand, et social car c’est là que se recomposent quotidiennement les relations humaines. Dans cette nouvelle configuration, tout ceux qui président au destin de cette ville, […], sont obligés de composer avec les autres acteurs globaux. Outre le haut et le bas, la fabrique urbaine doit désormais compter avec un nouvel invité, tiers-acteur de taille : le monde ». (Choplin, 2009 : 339)
  • @karen-che
    10 years ago
    Dans l’ouvrage « NOUAKCHOTT : au carrefour de la Mauritanie et du monde », Armelle Choplin explore de nombreuses facettes (politiques, sociales, spatiales…) de « la ville et ses résidus », depuis le « cul-de-sac » du fortin militaire de 1958, jusqu’à la fabrication de la « ville-capitale interface » dans le contexte globalisé actuel. Comment la mondialisation agit-elle sur les différents espaces de la ville, avec quels décalages tandis que se multiplient grands projets et tentatives d’internationalisation, avec quels nouveaux acteurs dominants qui (dé)font la ville ? A travers logiques politiques et les dynamiques sociales, la première partie traverse l’histoire de la fabrication ex-nihilo de Nouakchott, capitale surgie des dunes face à l'océan en 1958, née en même temps que l'Etat indépendant de Mauritanie (1960) : depuis la capitale projetée par les premiers plans (du Gouverneur Mouragues en 1957) de « l’urbanisation d’Etat » descendante, jusqu’à la réalité de la ville entre choix, nécessités et contingences. Cette naissance au cœur du Sahara, dans un lieu sans eau, s’impose par sa situation « neutre », intermédiaire entre Mauritanie « blanche » au nord et « noire » au sud, entre Maroc et Sénégal -mais proche du fleuve du même nom, ouverte sur la mer et sur l’intérieur. Cet acte fondateur légitime le projet national car « un pays sans capitale est comme un corps sans tête », au sein d’une Mauritanie d’hommes mobiles, de villes dispersées et de rares centralités politiques, au sein d’une colonisation « an-urbaine » et « extra-utérine » (Abdel Wedoud Ould Cheikh) c’est-à-dire ayant peu influencé la vie locale des nomades restés en marge de cette conquête. Les sécheresses des années 70 entrainent un exode rural insoupçonné par les planificateurs. Alors que la capitale avait jusque là du mal à attirer de nouveaux venus, s’opèrent une sédentarisation contrainte des populations nomades et une explosion urbaine sur laquelle se surimposent les plans, mais sans planification. Depuis, des habitants s’appropriant la ville aux acteurs privés concurrençant des pouvoirs publics se désengageant, tous contribuent à redessiner le schéma premier de la ville. La capitale n’est plus seulement une utopie politique en marche mais aussi une forme spatiale vécue. La ville concentre aujourd'hui un quart de la population mauritanienne (800 000 habitants). Avec un développement spatial/démographique incontrôlé et spectaculaire, dont la diversité ethnique est une des richesses, Nouakchott doit maîtriser son essor sans perdre son âme. Or, c’est maintenant un espace extrêmement fragmenté, depuis la césure première et centrale entre quartiers des élites maures au nord, quartiers denses péricentraux, quartiers périphériques populaires et zones illégales tels les Kebbe (bidonville) et Gazra (squat par les plus démunis mais aussi par les couches aisées cherchant à se voir attribuer des parcelles lors des prochaines distributions étatiques, usant d’affairisme, népotisme et corruption si besoin). Dans chacun de ces quartiers, les ressortissants d’une même région se regroupent (l’organisation sociale étant basée sur le groupe de parenté) et rejouent les ségrégations géographiques du pays. Les quartiers périphériques populaires, peu denses (80 hab/km²) et dénués d’infrastructures recréent l’identité maure (attachement à la brousse et à la bédouinité) du campement traditionnel où les tentes se posent au hasard des inégalités du sol, où l’indépendance de la famille restreinte prévaut mais où retrouver famille, amis et membres de la tribu. Les quartiers denses péricentraux (350 à 450 hab/km²) sont quant à eux sous l’influence noire des Halpulaar’en, Soninkés et Wolofs sédentaires des bords du fleuve Sénégal, où prévaut l’organisation de la famille élargie. Les réseaux y sont obsolètes ou sous dimensionnés par rapport à l’afflux permanent de nouvelles populations. Repli communautaire, ethnicité, exclusion identitaire et injustice sociale entrainent ces processus ségrégatifs au sein de la cité. Parallèlement, l’utilisation/manipulation de la capitale comme enjeu de pouvoir perdure, à partir du Nouakchott du centre. Ainsi, Armelle Choplin note que le tropisme arabe influence grandement l’orientation de l’identité urbaine. La politique d’arabisation de la société notamment, passe aussi par l’espace public, espace scénique des pouvoirs par excellence, où se joue la « théâtrocratie ». L’Etat y valorise les symboles, depuis les lieux fondateurs de la Nation jusqu’à la signalétique routière. En témoigne la photo de couverture du livre présentant trois panneaux indicateurs de direction, en alphabets arabe et latin : Nouakchott tout droit -au cœur du monde arabe, entre Doubaï à droite et Bagdad à gauche ; aucune distance n’est indiquée, il pourrait s’agir d’une même agglomération. Nouakchott, la ville d’Etat, se trouve donc au centre des réseaux et des pouvoirs convergents. Mais à ce titre, elle souffre finalement d’hypertrophie et de surconcentration (des pouvoirs, activités, services et aménités). Car elle se développe dans une logique de contrôle et de mainmise sur le territoire qui crée un continuum urbain-rural (où prévalent les réseaux clientélistes et tribaux). Comment réagit la ville des marges ? Cette ville où l’urbanité de la survie s’est créée par défaut, avec les sécheresses et migrations d’abord, avec les violences inter-ethniques et persécutions de 1989 ensuite (nombreux réfugiés maures du Sénégal). Comment se fait-elle entendre du centre ? L’auteure montre que depuis les premières et timides revendications populaires, Nouakchott assiste, en son sein, à l’émergence d’une « société civile » urbaine. Ainsi cette ville des marges tend à se politiser et à exister comme nouvel acteur de la société : en conquérant la rue, en produisant la ville avec et/ou contre l’Etat (individuellement ou collectivement), en mettant en avant des « compétences citadines » à travers la participation, ou simplement en s’exprimant à travers les urnes. Dans la seconde partie, la « petite capitale africaine » se retrouve dans la tourmente de la mondialisation, entre extraversion et convoitises, entre culture globale et repli identitaire. De nouvelles logiques et nouveaux acteurs influencent alors le devenir de Nouakchott : bailleurs de fonds, spéculation foncière, bonne gouvernance… et même migration internationale. A l’heure du libéralisme, les questions de maîtrise du foncier et de gestions urbaines sont cruciales et posent celle de la « bonne gouvernance ». Diverses solutions ont été explorées, depuis l’aide publique au développement (ex : lutte contre la pauvreté, Programme de Développement Urbain de la Banque Mondiale), à la décentralisation et au retour au local dans l’espoir d’une meilleure gestion (création de la CUN -Communauté Urbaine de Nouakchott), jusqu’au réengagement de l’Etat dans le secteur urbain, mais pour quels résultats ? Le foncier reste pris en otage entre monopole étatique, élite prédatrice et lois du marché, et constitue une source de rente particulièrement lucrative grâce à la gazra et à la spéculation. On assiste ainsi à une « main basse sur la ville » des petits squatters et surtout des grands spéculateurs, chacun avec des moyens à sa mesure (microcrédit pour les défavorisés, épargne-logement pour les riches). Dans ses tentatives d’internationalisation, Nouakchott en quête de métropolisation et plus encore de « dubaïsation », se tourne vers les capitaux arabes (« avec nos banques, construisons Nouakchott de demain ») pour réussir le challenge d’être au cœur des flux globaux et nouvelles connexions, quitte à forcer le trait de la capitale œuvrant pour la circulation du capital (« Cachez ces pauvres que je ne saurais voir »), mais supplantant au fur et à mesure l’ancienne capitale économique, Nouadhibou au nord, seconde ville du pays (avec 100.000 habitants seulement). Mais les flux les plus importants auxquels est confronté Nouakchott sont peut-être les flux migratoires transsahariens. Si les immigrés subsahariens ont joué un rôle capital dans l’histoire mauritanienne, le pays est aujourd’hui confronté à une problématique d’envergure. Point de passage (parfois prolongé) vers l’Europe, il doit mettre en œuvre sa propre politique migratoire, mais coincé entre contrôles européens et « clandestinisation » des migrants, son positionnement reste ambigu. Sans être un véritable hub migratoire (plutôt localisé à Nouadhibou), Nouakchott accueille concomitamment, migrants, immigrés et émigrés qui créent de fait un enchevêtrement de réseaux et de lieux et opèrent une importante transformation / recomposition urbaine et culturelle de la ville. La ville évolue donc « in and out de la culture globale » : entre d’une part, revendication/folklorisation du nomadisme et mythification de la brousse comme vraies valeurs -qui perdurent notamment dans la structuration ségrégative de la ville autour des quartiers-villages, et d’autre part, attrait de la culture globale auprès de la jeunesse nouakchottoise s’ouvrant au hip-hop et au rap. De nouveaux espaces ludiques et lieux de consommation émergeant par ailleurs, la ville est le miroir des mutations profondes que connaît la Mauritanie contemporaine. Dans ce champ d’influences et tensions diverses, Nouakchott subi également l’épreuve du terrorisme étranger quand l’islamisme mauritanien plutôt modéré connait lui aussi la montée d’une contestation islamiste - signe d’exaspération face aux écarts de richesse s’accentuant. Avec la difficile tâche, dans ce contexte, de redorer l’image de marque d’un pays et d’une capitale qui se voudrait internationale. En conclusion, Nouakchott reste une jeune capitale, d’abord fabriquée par un Etat et symbolisant ses ambitions, puis appropriée au fur et à mesure par les Mauritaniens venus de toutes les régions. Objet politique créé ex nihilo et objet social remodelé au quotidien, elle se construit et se politise à la croisée de ces deux modes, parallèles et parfois antinomiques, dans la complémentarité ET l'opposition, et dans la multiplicité des acteurs. Tant au travers de la documentation officielle (urbanisme, élections) que de la richesse de ses enquêtes (entretiens au sein des divers quartiers et couches sociales de la ville, photographies regroupées dans un cahier central) pour étayer ses thèses, Armelle Choplin restitue les multiples facettes politiques sociales et urbaines de Nouakchott. Elle offre un regard sur la ville-capitale de ce pays pauvre qu’est la Mauritanie, en construction dans un contexte néolibéral et mondialisé où Dubaï, plus que Bagdad, donne le ton. Nouakchott créée au carrefour du monde arabe et de l'Afrique subsaharienne, est aujourd’hui au carrefour du monde, « fabrique urbaine complexifiée » en prise avec de nouvelles charnières géopolitiques et leurs nouveaux défis. Cependant, autre effet de la mondialisation et de l’anthropisation excessive, le réchauffement climatique couplé à la mauvaise gestion des sols et paysages mettent aussi à mal l’existence même de Nouakchott au sein de ce territoire saharien. Car, ceinturée des dunes mouvantes (barkhanes) du grand erg occidental à l’est et du cordon littoral fragile à l’ouest, au cœur des dépressions salées (sebkhas), Nouakchott est vulnérable et menacée : par les vents de sable (la ceinture verte plantée de 1975 à 90 au nord est largement détruite -sécheresse, pression foncière) et par les inondations récurrentes (remontée de la nappe -pluies, marées, défaut d’assainissement, réseau d’eau défectueux). Intervention humaine (brèches, prélèvements, pastoralisme) et changement climatique mettent à mal la résilience (datant de 4000 ans) de cette plaine côtière (la digue du Port de l'Amitié, perpendiculaire au transit sédimentaire, provoque recul du trait de côte au sud et ensablement au nord). Même si Armelle Choplin n’aborde pas ces aspects de Nouakchott, c’est donc bien de cette existence physique même que dépend le futur de la ville. Aussi, afin de faire de Nouakchott cette capitale au futur, il me semble important d’ouvrir ce champ de recherche par une première piste : appuyer l’évolution/mutation/restructuration urbaine sur le changement climatique et le PAYSAGE. Ainsi, futur rimera avec mondialisation certes, mais aussi avec nécessaire reterritorialisation !
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