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Lomé, dynamiques d’une ville africaine

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(2007)

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  • @eberny

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  • @eberny
    9 years ago
    Cet ouvrage, publié en 2007, consiste en une monographie de la ville de Lomé conduite selon une approche pluridisciplinaire. Réalisé sous la direction de Philippe GERVAIS-LAMBONY, professeur de géographie à l’université de Paris X Nanterre, et de Gabriel KWANI NYASSOGBO, enseignant-chercheur au département de géographie de l’Université de Lomé, cet ouvrage regroupe les contributions de treize auteurs, français et togolais, autour des changements socio-spatiaux de la ville de Lomé depuis le début des années 1990 avec en arrière-plan une interrogation sur la cohésion urbaine : la ville a-t-elle tendance ou non à la fragmentation ? Trois angles d’approches sont développés: le gouvernement de la ville, les dynamiques économiques et les dynamiques socio-spatiales. Sous titré « dynamique d’une ville africaine » l’ouvrage a vocation à apporter des éléments de réflexion et d’analyse transposable à d’autres villes africaines. Cette note de lecture sera pour nous l’occasion de faire ressortir les principaux apports des auteurs sur la thématique de la fragmentation. Nous ferons aussi ressortir quelques points spécifiques qui, à la lumière de notre connaissance des villes béninoises, nous ont semblé riches d’enseignements pour la compréhension d’autres villes d’Afrique qui à l’instar de la ville de Lomé connaitraient des phénomènes de croissance démographique et spatiale très rapide. En 2007, la ville de Lomé est une ville d’un million d’habitants. Comme beaucoup de villes africaines, elle a connu des croissances démographique et spatiale fortes qui la font déborder de ses limites territoriales. En dépit des lois de décentralisation adoptées au Togo, la commune de Lomé est administrée depuis 2001 par l’Etat central qui nomme une délégation spéciale en lieu et place du conseil municipal élu. Au-delà de cette particularité, le contexte de la ville de Lomé a beaucoup de similitudes avec d’autres pays de la sous-région : un pays qui a du mal à opérationnaliser ses documents programmatiques, notamment en matière d’aménagement du territoire et une commune fortement tributaire des options proposées par les bailleurs de fonds, et qui souffre d’une mauvaise pérennité de ses interventions. Dans cette ville en croissance rapide, les tendances à la fragmentation à l’œuvre sont en partie imputables à ce contexte de gouvernance. L’accès aux services urbains pour des périphéries sans cesse en extension se pose comme un problème majeur. Si l’aide internationale a apporté des éléments de réponses aux problématiques de gestion de la ville, elle n’a pas su résoudre cette tendance à la fragmentation. Ceci s’illustre notamment dans le domaine de la gestion des déchets, où la Direction des Services Techniques en contractualisant avec le secteur informel -qui avait spontanément développé des services d’assainissement- a amélioré son service de pré-collecte au niveau des ménages, sans parvenir toutefois à offrir un service qui se déploierait de façon équitable sur l’ensemble du territoire. L’étude des dynamiques économiques de la ville révèle une dichotomie entre sa partie méridionale et ses périphéries plus récentes. Le mode de fonctionnement des marchés et l’histoire de l’implantation des supermarchés montrent la prééminence commerciale du secteur central. Mais le développement de centres commerciaux, agglomérant commerces moderne et informel, dessine de nouvelles centralités secondaires : Kokou TOSSOU va jusqu’à proposer une base pour des collectivités locales urbaines à partir de la structuration polynucléique de la ville autour de ces centres commerciaux. Une nouvelle polarité se construit dans les quartiers nord où s’implantent de plus en plus d’activités et de services, et même des institutions politiques, à la faveur d’un marché foncier plus intéressant qu’en centre ville. On retiendra notamment de cette partie consacrée aux dynamiques économiques que Kokou TOSSOU et Jean-Fabien STECK nous interpellent sur l’importance de l’économie informelle dans le fonctionnement de l’économie de la ville, en nous donnant à voir son poids, ses interrelations avec le commerce moderne, et son rôle dans l’accès des populations excentrées aux produits de consommation courants. Les conséquences du développement de l’économie informelle en termes d’appropriation des espaces publics est aussi un phénomène que le planificateur devrait prendre en compte. En effet, le développement du commerce informel le long des axes routiers les plus fréquentés contribuent à des conflits d’usage entre piétons/commerçants et entre stationnement/usagers de la voirie, phénomène que l’on peut observer dans toute son ampleur place de l’Etoile à Cotonou. Les dynamiques sociales révèlent quant à elle une plus grande cohésion entre les quartiers de la ville qu’on ne le penserait de prime abord. Ainsi, dans les représentations, les quartiers nord sont supposés attachés au pouvoir car lieu d’accueil des migrants venus du nord du pays dont est originaire le chef du parti au pouvoir, et le sud est supposé être le fief de l’opposition. Philippe GERVAIS-LAMBRONY déconstruit ces préjugés en montrant d’une part qu’aucun quartier n’est ethniquement homogène, d’autres part que les représentations de ces quartiers sont surtout associées à certains lieux symboliques qui s’y trouvent, ainsi qu’à la présence en leur sein de poches, réelles mais restreintes, que l’on pourrait assimiler à des fiefs de l’un ou l’autre parti. Ainsi, l’analyse de Philippe GERVAIS-LAMBRONY constitue une mise en garde contre des visions caricaturales de certains quartiers, qui, si elles sont reprises à leur compte par les décideurs, peuvent créer des distorsions dans les politiques urbaines. De telles représentations sont à l’œuvre dans la ville de Cotonou où, par exemple, le quartier d’Akpakpa, qui accueille beaucoup de migrants venus de l’Ouémé d’où est originaire le président d’un grand parti d’opposition, est souvent perçu comme acquis au dit parti. Par ailleurs, l’analyse des quartiers nord de Lomé montre que, de par leur fonctionnement en banlieues-dortoirs, ces quartiers sont pleinement intégrés dans la ville. De plus, une représentation commune de leur quartier unit les habitants qui, bien que de toutes origines, éprouvent un réel sentiment d’appartenance. Le quartier est le lieu d’ancrage après un long parcours d’accession à la propriété immobilière, rendu difficile par la pression foncière et les conflits qu’elle engendre, et par le difficile accès au crédit bancaire. Différents types d’habitat, du traditionnel à la villa cossue, s’y côtoient et révèlent la bonne mixité sociale qui s’y opère, même si Gabriel KWANI NYASSOGBO relève la marginalisation des populations autochtones dont les villages se trouvent englobés dans les nouvelles périphéries. Ce dernier point interpelle le planificateur qui doit essayer, autant que faire se peut, de limiter les phénomènes d’exclusion liés au développement urbain. On constate que les pouvoirs publics ont souvent tendance à mépriser les populations autochtones, faiblement en capacités de revendiquer leurs droits : on a pu ainsi assister à Porto-Novo au « déguerpissement » d’un village de pêcheurs pour libérer un site pour le nouveau siège de l’Assemblée Nationale. Ceci s’est fait sans dédommagement, les pêcheurs ne disposant pas de permis d’habiter. Enfin, l’ouvrage met en lumière la façon dont la population tente d’apporter des solutions « spontanées » de gestion à la ville. Il rappelle l’importance de prendre en compte ces solutions spontanées dans les politiques publiques, à l’instar de la façon dont les acteurs informels de la pré-collecte des déchets ont pu être intégrés dans un partenariat public-privé (Pascale PHILIFERT). A l’inverse, le développement du taxi-moto comme solution à la carence de l’offre de transports publics est seulement toléré par les autorités de Lomé. Pourtant, cette pratique est désormais solidement ancrée dans les usages, comme le montre Cyprien AHOLOU dans son étude portant sur les villes de Lomé et de Cotonou. Or, l’absence de prise en compte des pratiques réelles des citadins peut aboutir à des échecs des politiques publiques, comme cela peut s’illustrer avec le système de transport en commun (bus) mis en place par la ville de Cotonou en 2013 et stoppé après quelques mois d’exploitation du fait, entre autres raisons, de son incapacité à concurrencer l’offre informelle de transports dont le taxi-moto. Ainsi, au-delà de ses apports sur la question des processus de fragmentation à l’œuvre dans une ville africaine, cet ouvrage nous est apparu comme une invitation pour le planificateur à penser le fait urbain au-delà des données quantitatives mais selon une approche sociologique. En cela, cet ouvrage replace les pratiques des citadins au centre de la problématique urbaine. Il est cependant dommage que l’ouvrage n’ait pas consacré une partie à l’environnement, abordé seulement de façon sous-jacente dans certaines contributions. En effet, la problématique environnementale n’est pas sans lien avec les dynamiques de fragmentation urbaine : y a-t-il une équité territoriale dans le droit à un environnement sain ? Cette question peut se décliner en matière de gestion des déchets, mais aussi d’exposition aux risques naturels (risque d’inondation notamment dans le cas d’une ville lagunaire comme Lomé), d’accès à l’eau potable etc. Qu’est-ce qu’un étalement urbain fragmentaire et non régulé implique en termes de qualité de l’air (l’essor du taxi-moto n’étant pas d’un moindre impact sur cette dernière), en termes de pression sur les milieux naturels (notamment sur un écosystème sensible comme la lagune) ? Ainsi abordé, le livre aurait répondu à une triple approche économique, sociale et environnementale et aurait ainsi permis de penser les « dynamiques d’une ville africaine » selon le prisme du développement durable.
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