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L’agglomération dakaroise au tournant du siècle. Vers une réinvention de la ville africaine ?

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(2000)

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  • @ahmed16

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  • @ahmed16
    9 years ago (last updated 9 years ago)
    Il y a quelques années déjà, un compatriote, étudiant, à l’entame de son doctorat, nous confiait ses sentiments sur les remarques de son directeur de thèse : « on a tout et trop écrit sur Dakar ». Tel n’était pas son avis. Ni le nôtre d’ailleurs. Tour à tour, on avait évoqué les changements qu’on y observait. Cette discussion dura plus d’une heure et nous nous surprîmes à ressentir énormément de passion pour cette ville, notre ville, celle de notre interlocuteur aussi. Finalement, une interrogation avait scellé cet échange qui avait pour cadre le Laboratoire de Géographie Urbaine de Nanterre: l’origine du chercheur et son regard sur l’objet de ses recherches. Deux années passèrent. Un second ami, étudiant à Bordeaux III, à la recherche d’un sujet de thèse, nous révéla à son tour les remarques de son futur directeur : « pourquoi les étudiants sénégalais n’envisagent presque jamais de faire des recherches dans d’autres pays d’Afrique ou d’ailleurs ? ». Nous transmettant cette remarque, il nous demandait de lui soumettre notre réflexion. Ce que nous fîmes. Deux éléments nous semblaient pertinents : si beaucoup d’entre eux prenaient leur pays comme le « terrain » de leurs recherches, peut-être était-ce le signe de l’émergence de thématiques nouvelles qui n’avaient pas fait l’objet de réflexions approfondies. Ensuite, faire des recherches exige des fonds, or la majorité des étudiants que nous connaissions (y compris l’auteur de ce texte) conciliaient les études et le travail. Ce bref rappel est important, car l’idée retenue au départ était une comparaison entre deux villes de l’ouest africain, Bamako et Dakar. Mais un séjour de trois mois dans la dernière ville nous convainquit de l’immensité du chantier qui nous y attendait. Cela justifiait, par conséquent, la nécessité de recadrer notre problématique uniquement sur la capitale sénégalaise.En effet, quand l’agglomération qui vous a vu naître, les rues qui vous ont vu grandir, les espaces vacants qui ont donné libre cours à votre imagination, les dépressions avec leur verdure qui vous ont rappelé que la nature gardait encore ses droits, quand tous ces éléments se dérobent, disparaissent, que votre imaginaire se réfugie dans l’univers sécurisant des Des souvenirs, une époque à la fois si proche et si lointaine, où votre être avait su assimiler et synchroniser le temps et le rythme de la ville… Ce qui se déroulait sous nos yeux bouleversait le regard. Cela nous dépassait. Parce que cela allait trop vite, parce que nos repères s’effaçaient l’un après l’autre, parce que la durée des trajets s’allongeait, parce que le royaume de notre enfance disparaissait : les terrains de jeux, terrains de football le jour, lieu de confidences le soir, cédaient la place à des immeubles construits si rapidement qu’ils piétinaient l’empire du temps long de notre jeune vie. Maintenant, c’était au tour des souvenirs d’être piétinés, massacrés, enterrés sans cérémonie, ni adieu. L’habitant était perplexe, l’étudiant-chercheur s’interrogeait. Le changement nous projette souvent dans l’inconnu, réveille et attise nos inquiétudes. Cela empire quand nous n’arrivons pas ou plus à le nommer, quand notre répertoire censé contenir le monde fait défaut, ne fournit plus de réponse… Ce sont ces inquiétudes qui ont fait naître des interrogations qui ont été à l’origine de ce travail de thèse, lequel renvoyait avant tout à une question bien géographique : déchiffrer le monde, un monde qui nous semblait nouveau. La croissance et les transformations de l’agglomération dakaroise depuis bientôt deux décennies, leur rythme, leur ampleur, leur vigueur et leur durabilité sont tels que nous estimons que Dakar est entré dans une nouvelle phase urbaine. C’est la thèse que nous émettons. Elle s’est nourrie d’abord de signes, de vécu, puis s’est affermie avec la rencontre d’une hypothèse, celle de la « refondation mégapolitaine ». L’extension rapide et continue de l’agglomération dakaroise depuis bientôt une vingtaine d’années trouve ses ressources dans le dynamisme d’un marché immobilier, soutenu par une demande toujours croissante grâce à la présence d’une importante classe de jeunes adultes et grâce également aux émigrés. La figure de ceux-ci, omniprésente, est mise en avant par la reconfiguration du marché, servie par une logique qui débouche sur une inversion de valeurs. Il arrive même qu’on discrimine sous prétexte de solvabilité. Le marché immobilier porte en réalité les stigmates du troisième projet urbain, signé entre le Sénégal et la Banque mondiale, qui pose les jalons d’un marché libéralisé, ouvert à la concurrence et faisant supporter davantage les charges à l’acquéreur, allégeant ainsi la participation de l’Etat dans les opérations d’aménagement et de construction. La correspondance de Maurer R. de la Banque mondiale, datée du 15 janvier 1990, est on ne peut plus clair : « Incontestablement, le logement a toujours constitué une priorité gouvernementale. Mais la logique de la politique actuelle privilégie une vision plus réaliste de la situation. La nouveauté réside principalement dans la volonté de ne plus biaiser la concurrence et de faire supporter au bénéficiaire final du logement le juste prix pour son investissement». Les effets durables de ce troisième projet expliquent largement la situation du marché immobilier d’aujourd’hui. L’Etat s’est efforcé de rendre ses politiques d’habitat plus efficaces, mais le bilan est mitigé. A son actif une volonté affichée et parfois suivie d’actes, matérialisés par des cessions gratuites de domaines fonciers pour les besoins de programmes de logement social, par exemple ; de plus, les extensions récentes sont non seulement importantes, mais procèdent surtout d’une démarche planifiée. Mais le constat est là, l’écart entre l’offre et la demande, au lieu de se réduire, ne cesse de s’élargir. Au début de la décennie 1990, la demande est estimée à 12 000 logements ; aujourd’hui encore, ce nombre est repris, mais on s’accorde à dire que la satisfaction de la demande suppose la construction de 22 000 unités par an. Le renchérissement du foncier et de l’immobilier rend très difficile l’accès à la terre et au logement pour les primo-accédants. Cela l’est d’autant plus que le montant des loyers se corrèle à ce renchérissement, amenuisant ainsi les possibilités d’épargne des ménages déjà touchés par la cherté de la vie. On s’interroge alors sur l’efficacité de l’action des sociétés publiques immobilières. A dire vrai, celles-ci ont, dans le marché actuel, grandement perdu leur lettre de mission. Leurs 283 tactiques opportunistes ne sont pas une politique, ni une stratégie de développement à moyen ou long terme. Ces sociétés ont failli au grand dam parfois de certains de leurs responsables, conscients d’être entraînés dans une spirale sans pour autant disposer de marge de manœuvre pour l’enrayer ou l’orienter vers le sens attendu : le logement du plus grand nombre. Pas plus que les promoteurs, les coopératives n’assurent pas au gros de la population aucune alternative face à l’élasticité du marché. Dans ce contexte, les transactions de particulier à particulier continuent de dominer et de perpétuer une insécurité juridique aux acheteurs, la plupart des actes n’étant pas authentifiés par des notaires. Toutes ces difficultés témoignent des contradictions de l’Etat quant à l’application de son principe de rationalisation. Les coopératives, qui devaient être un refuge pour les couches modestes, se retrouvent aujourd’hui en concurrence avec les promoteurs d’une part ; d’autre part au sein même des coopératives, l’esprit solidaire est de moins en moins accentué et la tendance actuelle risque d’aboutir d’une certaine façon à un service « à la carte ». L’Etat libéralise le marché tout en laissant à la BHS un monopole sur les coopératives et sur les promoteurs. Ce qui explique aussi, en partie, qu’entre la logique sociale et la logique spéculative, cette banque a choisi la dernière. On retrouve les contradictions au niveau réglementaire : des textes répressifs très souvent enfreints. L’arsenal des sanctions, réparti entre peines de détention et amendes financières, pouvant toucher aussi bien les particuliers, les architectes, les entrepreneurs et même l’autorité publique, pour peu qu’on les connaît, est fortement dissuasif. D’autant plus que dans la pratique, les délits les plus sévèrement sanctionnés sont ceux les plus couramment commis : construction sur des zones non aedificandi (amende encourue 100 000 à 2 000 000 FCFA, 150 à 3 000 €, assortie d’une peine de six mois à deux ans de prison ferme, en sus d’un risque de démolition de la construction et la remise en état des lieux aux frais du condamné ) et stellionat (le fait de vendre des terrains sans en être le propriétaire expose l’escroc à une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 500 000 à 20 000 000 FCFA, 760 à 30 000 €). Si les populations recourent faiblement aux autorisations, il faut alors chercher les causes ailleurs. Leurs comportements reflètent moins une volonté d’enfreindre la loi que des agissements par ignorance. En réalité, une occasion a été manquée. La restructuration de Dalifort et le contexte qui prévalait à l’époque étaient des raisons suffisantes pour mener une réflexion de fond pour mieux comprendre les mécanismes aux niveaux individuel et collectif qui débouchent sur la transgression des lois. Paradoxalement, la DUA n’est pas allée au bout de sa logique. Le code de 1988, puis celui de novembre 2008 (qui ne présente pas de changement majeur) ne s’accompagnent pas et ne proposent même pas 284 un dispositif d’information et de vulgarisation auprès des habitants et des promoteurs individuels. Cela est d’autant plus incompréhensible qu’on était fondé de s’attendre à une inversion : l’incitation plutôt que la répression. Il n’est alors surprenant de trouver des constructions de bonne facture mais illégales, comme il n’est pas étonnant d’assister sporadiquement à des démolitions au bulldozer. La répétition de ces opérations est avant tout un aveu d’échecs. Mais toute la faute n’incombe pas aux services de l’urbanisme : l’application des lois est rendue difficile aussi bien par la résistance des particuliers que par les politiques, surtout quand ces deux acteurs se retrouvent dans un jeu de clientélisme. Politique contre administration. Même dans les cas où les tensions ont été vives, des solutions à l’amiable, sur le dos de la loi, ont été trouvées. C’est ainsi que des manques à gagner sont générés, affectant les moyens des services d’urbanisme, les fonds d’équipements, le budget général et les revenus des agents verbalisateurs. La Banque mondiale et le FMI, eux aussi, ne sont pas exempts de reproches. En insistant sur le coût de l’urbanisation, ils ont obligé les acteurs à des choix de localisation qui, à court terme, paraissaient intéressants mais qui, économiquement, étaient très contestables à long terme. La réduction des coûts s’est surtout réalisée par le choix de terrains proches des infrastructures routières existantes. Du coup, point d’investissement sur de nouvelles voies, réduction de la capacité de charge de la voirie, embouteillages et économies d’agglomération négatives, le tout illustrant parfaitement une disharmonie des rythmes de croissance. Plus généralement, et au-delà de l’administration, les limites témoignent de la persistance de lourdeurs structurelles aussi bien dans les mentalités198que dans les pratiques. C’est le cas dans la menuiserie comme dans la maçonnerie. Les handicaps qui empêchent l’évolution des ateliers et des « entreprises » familiales de bâtiment vers des structures de nature capitalistique ne sont, certes, pas seulement de nature organisationnelle, mais ils le sont grandement. Face à une conjoncture favorable, les chefs d’atelier, les entrepreneurs en bâtiments restent tiraillés entre le désir d’une meilleure maîtrise de la gestion et de la conduite de leurs affaires, pour profiter de la demande croissante, et la crainte d’entrer dans un cycle de transformations dont ils perçoivent les effets bénéfiques mais dont les conséquences, pensentils, pourraient aboutir à une perte de contrôle des destinées de leurs « entreprises ». Les certitudes d’aujourd’hui valent mieux que les promesses de demain.
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