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Colonialisme et urbanisme

.
Dar Khettab, Alger, (2013)

Abstract

L'auteur distingue entre le saint-simonisme et le fouriérisme qui sont deux courants philosophiques qui ont émergé dans la conception du mode d'urbanisation à partir de la colonisation en Algérie.

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  • @thierrywork
    7 years ago (last updated 7 years ago)
    L'auteur, Saïd Almi, est docteur en urbanisme, membre en tant que chercheur du Conseil d'administration de la Société française des Urbanistes, et s'investissant dans ce Conseil dans les questions de développement durable. Il a soutenu une thèse à Paris 8 en 2001 sur les politiques coloniales influençant la question de l'urbanisme en Algérie. La suite logique de cette thèse est l'ouvrage présenté ici, « Colonialisme et urbanisme » publié en arabe en 2013 aux éditions Dar Khettab d'Alger. Il s'agit dans son ouvrage de dépasser l'interprétation idéologique de la présence française en Algérie. Depuis le début de la colonisation trois courants idéologiques se sont développés en Algérie : la politique militaire des conquérants, les principes d'association des saint-simoniens et ceux d'assimilation du fouriérisme. Paradoxalement l'ordre civil fut plus répressif à l'égard des musulmans que l'ordre militaire qui développa une domination protectrice. La diversité des politiques coloniales donna lieu à des pensées diverses d'urbanisme (celles de Prost, Le Corbusier, Socard...) D'ailleurs depuis l'indépendance ces politiques ont encore une influence dans l'aménagement urbain dominé par des principes issus du colonialisme, et celles-ci ne forment pas un bloc monolithique n'opérant pas de distinctions mais un ensemble de méthodes différentes qui peuvent s'avérer être hétérogènes. L'association du saint-simonisme et l'assimilation du fouriérisme sont deux courants urbanistes de l'Algérie colonisée. Le saint-simonisme se base sur des principes d'association tandis que le fouriérisme s'attache à développer l'assimilation. Dans l'assimilation les vainqueurs (colonisateurs français de l'Algérie) absorbent les vaincus tandis que dans l'association on les fait coexister. Le théoricien urbaniste, Ismaÿl Urbain, ayant débarqué à Alger comme interprète de l'armée en 1837, est tenancier des thèses associationnistes. Pour lui les transformations dues à la colonisation doivent être effectuées par étape. Au départ les habitudes sociales ne doivent pas être modifiées. L'administration doit être confiée aux bureaux arabes. Pour que le mode de vie des européens d'Algérie se juxtapose avec les tribus, il faut aller du connu à l'inconnu et améliorer avant de songer à innover. Le saint-simonisme associationniste engendre le protectorat : le musulman doit garder son autonomie, maintenir la structure gouvernementale et administrative locale de sa tradition. Ce protectorat se révèle dans cette anecdote. Un des projets de l'ingénieur civil Eugène de Redon visait à démolir deux mosquées classées monuments historiques. Mais deux notables musulmans arrivèrent par une requête au Conseil de Préfecture à annuler le projet de démolition. Un nouveau projet fut mis en place conciliant des attentes traditionnelles et les exigences de modernité. Dans l'association on reconnaît la présence d'antagonismes. Le gouverneur Jonnart a apporté une contribution majeure à l'architecture pour inciter les architectes à faire des formes mauresques (style architectural et ornemental élaboré en Afrique du Nord au VIIIè siècle, à partir des connaissances des arts de l'Islam et architectures islamiques). Sa vue s'opposait au développement en Algérie de « l'architecture moderne de l'Europe » qu'il trouve regrettable. Suite à ses propositions de nombreux édifices furent construits dans le « style Jonnart » comme la medersa d'Alger construite par Louis-Paul Petit inspirée par la mosquée de la Marine ou comme l'Hôtel de la Dépêche algérienne inspiré de la maison maghrébine traditionnelle. L'association se révèle aussi dans l'architecture néo-mauresque (mélange du style mauresque avec des éléments d'architecture européenne), avec de nombreux édifices dus à Charles Montaland constitués de bâtiments presque toujours flanqués d'un minaret ou d'une coupole et dont les ouvertures et bordures furent ornées de motifs décoratifs orientaux. Le fouriérisme en Algérie définit des principes d'assimilation et de fusion visant à établir une harmonie entre les hommes grâce à une organisation par groupements. Saïd Almi précise que la constitution européenne de la propriété inspirait une administration unanime, universelle, ce qui conduisait à ce qu'elle cherchait plus à convertir les Arabes à sa manière de la concevoir qu'à modifier ses usages pour l'adopter à la société musulmane. On peut donc en déduire que l'harmonie avec la fusion n'est pas forcément évidente puisqu'on se heurte aux différences de valeurs culturelles entre les arabes et les français. Le sol et le climat d'Algérie définit de plus des contraintes spécifiques pour la construction des habitations. Il faut donc transformer les institutions françaises pour les adapter aux particularités locales. De même l'influence des européens provoque une modification des mœurs locaux. La juxtaposition entre l'organisation des autochtones dans une ville comme Alger ne peut être qu'apparente. On doit parler d'intrication entre le modèle autochtone et le modèle spécifique colonial. Des concepts d'urbanisme européens qui dominent lors de la colonisation sur les idées d'organisation des populations dans un espace densifié peuvent par ailleurs conduire à la régularisation de l'aménagement de l'espace urbain, concepts qui remontent à la seconde moitié du XIXè siècle avec les grands travaux de Haussmann qui a une approche similaire à celle d'un Henri Prost ou aux Plans régulateurs de Gustavo Giovanuoni en Italie. Il s'agit en régularisant de rendre conforme aux dispositions légales et réglementaires. Charles Fourier et Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, ont des points communs et des points de divergence. Tous deux, en tant que philosophes participant au mouvement des Lumières, voulaient s'extraire du féodalisme, de l'Ancien-Régime. Il s'agit d'établir la légitimité du pouvoir politique non par un pacte de soumission imposé par la force et de droit divin mais par un nouveau pacte d'association définissant une communauté d'intérêts communs pour Saint-Simon et d'interactions passionnelles pour Fourier. Charles Fourier était un penseur de la Société industrielle qui était en train de supplanter l'Ancien Régime et il définit qu'il existe une attraction naturelle, une harmonie révélée par la reconnaissance de l'interaction entre les passions qui est la condition du bonheur de tous. L'Harmonie est son modèle de société qui est basé sur l'attraction naturelle : la société s'organise par le libre jeu des forces psychologiques, ce qui se distingue des tensions qui dominent la société contemporaine et son économie. Saïd Almi précise que le fouriérisme prétend déterminer et orienter les relations des hommes. Il s'agit de restructurer socialement de manière radicale. De même l'utopie de Saint-Simon est rendue possible par le triomphe de la classe industrielle. Il s'agit donc non pas d'être le plus fort mais le plus compétent, cela doit être vrai pour les personnes en charge de l'urbanisme comme les ingénieurs civils ou en charge de l'environnement. Le nouvel ordre social doit se fonder sur une nouvelle morale terrestre et non céleste qui peut revendiquer sa légitimité par arbitraire de droit divin, et il faut penser aussi à améliorer la situation des plus pauvres. Le saint-simonisme vent en finir avec les guerres, les privilèges, les inégalités, l'injustice, l'égoïsme, l'intolérance, l'obscurantisme … Dans une société fraternelle les membres les plus compétents (industriels, scientifiques, artistes, intellectuels, ingénieurs) devraient avoir le rôle d'administrer l'Algérie dans une saine économie pour développer prospérité, esprit d'entreprise, égalité et paix. Le système féodal de l'époque de Saint-Simon, par le pouvoir militaire et la religion, impose une soumission au système industriel. Les privilèges sont acquis arbitrairement par la force. C'est au contraire la valorisation des aptitudes intellectuelles qui définit les principes d'égalité juridique et morale, la dignité du citoyen et la liberté civile. On se doute que ces principes d'harmonie et de spiritualisation de la société étaient adéquats pour la pensée des algériens soumis par la force coloniale militaire commandée au départ par le général de Bourmont et se sont développés pour établir leurs droits face à la soumission. D'ailleurs des écrivains français comme Malraux se sont intéressés à soutenir les droits des colonisés en Afrique. Malraux a créé l'Indochine enchaînée à Saïgon pour soutenir les Annamites accablés par les excès et les tracasseries de l'administration coloniale. Ce qui distingue Saint-Simon de Fourier c'est que ce dernier ne se penche pas sur la question de l'organisation de l'espace bâti au contraire de Fourier qui pense que l'élaboration d'un modèle spatial est l'amont de tout projet pour changer la société, d'autant plus la ville. Avec Le Corbusier la modélisation utopique héritée du phalanstère de Fourier a développé toute sa créativité. Le phalanstère est un bâtiment où des ménages se regroupent ensemble dans des logements organisés autour d'une cour ouverte centrale, lieu de vie communautaire. Il y a classement et séparation des différents activités en son sein. La démarche de la libre occupation de l'espace public par les marchands ambulants dans l'Afrique de l'Ouest incarne probablement « l'attraction passionnelle » de Fourier dérivée de la théorie d'Isaac Newton sur un univers en relation avec les passions humaines. Mais elle est aussi relativiste, des règles d'organisation régulatrice pouvant définir des compétences pour que la circulation des personnes puisse être plus fluide. Nous allons maintenant traiter du thème de la ségrégation. La fusion de Fourier en Algérie induit des problèmes de ségrégation. La superposition de l'organisation familiale des colons à la tribu musulmane est impossible. Cette volonté d'une telle organisation conduit à la disparition de la tribu dont le mode d'organisation traditionnel se constituait d'un chef qui était le cheick le plus influent. Le droit traditionnel algérien donne évidemment une priorité sur l'acquisition d'un bien (droit de préemption) sur le colon et la volonté coloniale que les autochtones fusionnent leur organisation avec celle des colons conduit à la destruction du régime traditionnel de propriété. Le colonialisme impose la propriété individuelle à la place de la propriété naturelle collective des algériens. Il institue la division de la propriété. La ségrégation coloniale cantonne les populations locales, les isole des européens. Les propriétés éparpillées des musulmans sont regroupées, ce qui se traduit par un resserrement de l'aire géographique. L'assimilationniste propre aux fouriéristes et colons était un modèle anti-urbain refusant toute forme d'agglomération à la suite de la désorganisation tribale. Les colons proposaient la ferme-modèle dérivée du phalanstère. Ces principes de resserrement opposés à la dédensification existent naturellement dans l'urbanisation contemporaine. On se resserre autour du centre, ce qui coûte moins cher en matière de coûts d'infrastructures que de s'en éloigner. Un ironiste pourrait dire que l'artificialité mercantile du coût, de la production d'électricité et du dégagement de CO2 s'oppose à la tradition de la bougie, de la lampe à pétrole et au coche tiré par le cheval semblant ne pas induire de réchauffement climatique. Un exemple moderne en Afrique du Sud nous permet de comprendre que des principes de ségrégation dans ce pays interrogent sur l'aspect de gestion de l'espace en rapport avec la présence de populations isolées par l'héritage de l'Apartheid : isolées dans les townships, quartiers sous-équipés réservés aux non-blancs, le plus souvent des pauvres. Ceci n'empêche pas que ce type de quartier soit relié au centre-ville puisque la ville se densifie autour d'axes principaux de transport reliant le centre-ville avec les quartiers pauvres de Soweto et Alexandra. La densification signifie aussi qu'il est moins cher de faire des réseaux à forte densité qu'à faible densité. La planification signifie aussi qu'on cherche à limiter l'écart avec le centre pour éviter l'urbanisation anarchique et qu'on préfère densifier pour réduire les coûts des infrastructures, ce qui permet aux habitants les plus défavorisés de réduire leurs déplacements entre domicile et travail et d'avoir accès plus facilement aux bassins d'emplois, de services et de loisirs, ce qui rentre dans le cadre de la stratégie de la ville pour un développement et une croissance à long terme, tandis que la gestion, contrairement à la planification, s'occupe de la brève échéance. Les principes d'association du saint-simonisme définissent qu'un contact séparé est établi entre les européens et les musulmans. Ceux-ci sont unis sans être confondus, comme le quartier asiatique du Triangle de Choisy en contact avec l'esprit de Paris tout en donnant une coloration spécifique de sa culture par ses commerces typiques. Les colons d'Afrique se sont imposés comme les instigateurs les plus zélés du développement de la ville et se sont appropriés le monopole de sa constitution, de même qu'un standing de vie qui rentre dans les mœurs de la définition de la concurrence, la diversité et la complémentarité des réussites. Outre cette appropriation par l'industrialisation du sens de l'action sociale on peut aussi se questionner sur la responsabilité des colonisateurs quant à l'explosion urbaine africaine et à ses misères. Pour les questions du standing et du développement des villes par les colons on peut consulter cette page : https://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2006-1-page-15.htm Au sujet de l'interpénétration du modèle autochtone ancien et du modèle spécifique colonial on peut consulter cette page : http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1988_num_20_1_2795
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