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Intégrer les populations démunies dans les villes sud-africaines, Un défi pour les pouvoirs publics

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Notes et Documents (September 2009)

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    11 years ago
    Introduction Intégrer les populations démunies dans les villes sud-africaines est un ouvrage publié par l’Agence Française de Développement (AFD) dans la Collection Notes et Documents. Edité en 2009, ce document a pour principal objectif d’établir un état des lieux critique des politiques publiques et des instruments de planification stratégique et réglementaire dont l’Afrique du Sud s’est doté depuis 1994 pour répondre aux grands enjeux urbains, notamment celui de la ségrégation socio-spatiale, et pour engager une politique de rattrapage pour les populations les plus défavorisées. L’auteur est titulaire d’un Mastère spécialisé aménagement et maîtrise d’ouvrage urbaine de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, ses analyses s’appuient sur une revue de la littérature, des entretiens et un travail de terrain en Afrique du Sud et à la Réunion. L’ouvrage est structuré en trois grandes parties. La première partie est consacrée à une analyse historique qui met en perspective l’urbanisme racial systématisé sous le régime de l’apartheid et présente rapidement les défis urbains actuels, qui témoignent encore fortement de cet héritage, ainsi que le contexte politique et institutionnel en place en 2009. Dans un second temps, l’auteur aborde plus précisément les différents outils de planification existants, au plan stratégique (prescriptions d’orientations) et au plan réglementaire (prescriptions d’usage des sols) aux différents échelons du gouvernement (national, provincial et municipal). Cela permet de se faire une idée assez claire des cadres institutionnels, juridiques et réglementaires de planification de tradition anglo-saxonne que l’on peut retrouver dans de nombreux pays anglophones d’Afrique orientale par exemple. Enfin, dans une dernière partie sont présentés les différents outils et initiatives passés, en cours et en préparation qui doivent permettre d’aménager des espaces de vie pour les populations les plus démunies et qui soient effectivement intégrés au tissu urbain fonctionnel. Nous proposons ici de revenir sur quelques-unes des propositions de l’auteur pour améliorer les outils du gouvernement sud-africain destinés à renforcer l’intégration spatiale, économique et sociale des populations défavorisées et d’en proposer une analyse critique. L’utopie de la mixité sociale L’auteur critique le discours néo-libéral adopté par l’African National Congress au lendemain de l’apartheid et qui visait à maintenir les investisseurs sur place et à leur laisser une grande autonomie pour intervenir aux côtés d’un Etat –facilitateur qui « se contente » de fournir des services aux populations démunies mais ne cherche pas à contrôler ou utiliser le secteur privé pour créer des espaces de vie mixtes fonctionnellement ou socialement. L’auteur semble faire un amalgame entre mixité fonctionnelle et mixité sociale, comme si le gouvernement sud-africain devait s’engager dans des programmes de logements mixant les différents niveaux de standings au sein d’un même quartier en même temps qu’il promouvrait un zonage mixte. Or la mixité sociale reste un idéal très difficile à atteindre. Même en France, de nombreuses communes préfèrent encore s’acquitter des pénalités prévues par la loi Solidarité et Renouvellement Urbain plutôt que de remplir l’objectif de 20% de logements sociaux dans leur parc de logement. Cet idéal de la mixité sociale est d’autant plus difficile à imposer dans des systèmes urbains dont le développement est, dans une large mesure, généré « spontanément » par l’initiative privée, comme c’est le cas en Afrique du Sud. A l’inverse la mixité fonctionnelle peut être mise en œuvre relativement aisément, être imposée aux investisseurs privés par le biais de prescriptions d’usage des sols clairement définies, et même être facilement acceptée par ces derniers, dans la mesure où elle permet aussi d’augmenter la valeur des opérations d’aménagement. Pour conclure sur ce point, nous proposons une approche plus pragmatique de la mixité sociale qui consisterait à envisager la mixité fonctionnelle comme vecteur de mixité sociale. Ainsi, la classe moyenne sera amenée à fréquenter un quartier à dominante résidentielle aisée qui accueillerait aussi des bureaux et/ou un grand espace public urbain; de même la construction d’une zone commerciale de standing dans un quartier de classe moyenne permettra à la fois de rehausser l’image du quartier, de fournir des emplois aux populations riveraines et d’attirer une clientèle aisée dans le secteur. Les municipalités sud-africaines semblent avoir adopté ce type d’approche comme en témoigne un certain nombre de projets présentés dans l’ouvrage tel que ceux mis en œuvre à Ethekwini (Durban): initiatives liées au programme municipal Area Based Management et le projet Bridge City mis en œuvre à travers un partenariat public privé. La participation en question L’auteur estime que les projets d’aménagement visant à intégrer les populations les plus démunies gagneraient en efficacité s’ils étaient fondés sur une participation équilibrée, représentative et systématique de la population bénéficiaire dans la conception puis dans la réalisation des projets urbains. Il faut d’abord noter que l’Afrique du Sud post-apartheid accorde une très large place à la consultation des populations. La participation est garantie par des mécanismes institutionnels: les Ward Committees représentant une communauté d’individus au sein d’un même secteur, les Integrated Development Plans (plans de développement stratégiques développés par les municipalités à partir de l’année 2000) sont mis en ligne et ouverts aux commentaires des citoyens disposant d’une connexion Internet. De plus, historiquement, les manifestations de la société civile occupent une place importante et la voix des civics (associations de la société civile nées dans les townships) comptent de nombreuses personnalités qui parviennent à peser sur l’orientation des politiques publiques ou la conception des projets de renouvellement urbain. Ensuite, il nous faut noter que c’est aussi à travers ces mouvements sociaux que c’est constitué l’idéal de l’accession à la propriété privée individuelle pour les populations historiquement lésées, qui a donné naissance aux grands programmes d’accession gratuite à des maisons de faible qualité dans les grandes banlieues (Reconstruction and development Programme houses et Breaking New Ground houses). Aujourd’hui, on constate que cet idéal est difficile à dépasser, qu’il constitue un frein à la diversification de l’offre de logement (le parc locatif restant le parent faible des politiques publiques en matière de logement), qu’il entraine des distorsions considérables entre des ménages qui bénéficient d’un logement gratuit et les ménages qui gagnent juste assez pour ne pas pouvoir en profiter, mais pas encore assez pour accéder au marché de l’immobilier libre (le phénomène du housing gap), enfin qu’il a contribué à maintenir les formes urbaines ségréguées héritées de l’apartheid puisque les maisons gratuites ont dû être construites sur les réserves foncières disponibles en périphérie, peu chères et mal desservies par les transport en commun. A notre avis, si la conception de l’opération d’aménagement ne peut faire l’impasse sur une analyse très fine des besoins, des demandes et aussi des moyens (notamment de la capacité financière) des populations bénéficiaires visées, la participation à tout prix n’est pas une solution. Elle doit être imitée dans le temps et sur certaines thématiques. Pour que les projets urbains avancent et donnent satisfaction, il faut à un moment que les équipes techniques prennent leurs responsabilités. Les citoyens ne sont pas en mesure d’arbitrer sur certains choix techniques et ils peuvent aussi manquer de hauteur de vue: la prise en compte de la somme de leurs intérêts individuels ne dispense pas les maîtres d’ouvrage d’opérer in fine les choix qui doivent s’imposer pour le bien de tous. En revanche, sur le plan de la mise en œuvre des projets d’aménagement il est indéniable que l’implication directe des bénéficiaires dans la réalisation du projet présente de nombreux avantages: meilleure appropriation de la maison dans le cas des programmes favorisant l’amélioration des logements par l’auto-construction, entretien plus pérenne des infrastructures de base dans le cas de travaux réalisés en haute intensité de main d’œuvre avec les habitants du quartier (sans parler de la contribution directe de ce type d’initiatives à l’amélioration du revenu des ménages bénéficiaires) etc. Néanmoins, tous les projets ne s’y prêtent pas de la même façon et dans tous les cas il faut bien prévoir l’ensemble des mesures d’accompagnement et moyens à mobiliser (en formation par exemple) dans le cadre de la conception du projet de renouvellement urbain. Une analyse biaisée ? En dernier lieu, nous souhaitons revenir sur l’analyse, proposée par l’auteur, des similitudes entre l’histoire des politiques urbaines et les instruments de planification en France et le parcours sud-africain. En tant que publication institutionnelle de l’AFD, l’ouvrage comprend en effet de nombreuses références aux outils et politiques publiques françaises. Ces comparaisons peuvent surprendre ou interroger le lecteur. Elles ont pour objectif de faciliter la compréhension du contexte sud-africain par l’urbaniste français mais également de valoriser le savoir – faire français auprès de potentiels partenaires sud-africain. L’auteur cherche clairement à ouvrir de nouvelles perspectives pour la coopération française dans un pays anglophone très dynamique et porteur de nombreuses opportunités pour un bailleur de fonds tel que l’AFD. L’une des comparaisons les plus hasardeuses est le parallèle établi entre le programme de construction logement (RGP) post-apartheid et la politique des grands ensembles en France au lendemain de la seconde guerre mondiale. Certes, les deux initiatives correspondent à des logiques de rattrapage pour produire et fournir des logements en masse à destination des populations moins bien loties; et dans les deux cas, les programmes de logement ont en effet été implantés en périphérie des grandes villes, dans les zones suburbaines ou les terrains étaient moins coûteux. Cependant, en France le taux de motorisation des populations bénéficiaires était bien plus important que celui des populations sud-africaines qui ont bénéficié des logements gratuits; à défaut de transport public, les grands ensembles français étaient correctement desservis par les infrastructures routières nécessaires. Les premiers occupants des grands ensembles français avaient alors tous accès à un emploi, c’est la désindustrialisation de l’économie française et les crises économiques qui ont isolé les populations a posteriori. De même, à l’origine, les grands ensembles français étaient moins monofonctionnels que les premiers programmes de logements RGP sud-africains : au pied des immeubles, les architectes avaient prévus des locaux commerciaux, des équipements et de nombreux espaces verts. Pour conclure, il ne faudrait pas parler de trajectoire parallèle, mais peut-être plutôt de trajectoire inverse : alors qu’on a laissé les grands ensembles français tomber dans l’isolement et la déqualification, on semble bel et bien continuer de vouloir améliorer et reconnecter à la ville les quartiers pauvres périphériques des grandes villes sud-africaines. Un dernier point de différenciation essentiel est celui de la forme urbaine : forte densité bâtie et de population pour les grands ensembles français contre étalement urbain hors norme pour les quartiers résidentiels pavillonnaires des banlieues sud-africaines. Il est bien plus coûteux de raccorder ces zones résidentielles diffuses constituées de maisons individuelles de plein pied aux transports publics urbains (et aux infrastructures en général) que dans le cas français, et c’est d’autant plus vrai que le réseau de transport public français est comparativement bien mieux développé que le réseau sud-africain. Pour conclure, l’effort à fournir pour désenclaver ces deux types de quartiers n’est pas comparable; la portée et l’intérêt de comparer les deux programmes nous paraissent donc assez limités. Conclusion La lecture de cet ouvrage est riche d’enseignements pour qui veut étudier la planification des villes africaines. Le cadre institutionnel, les politiques et outils développés par le gouvernement sud-africain pour intégrer les populations les plus démunies dans la ville, ont valeur d’exemple (parfois de contre-exemple) pour les autres villes d’Afrique subsaharienne, en particulier celles relevant d’une tradition urbaine anglo-saxonne dans laquelle le secteur privé joue un rôle majeur. Il convient cependant de nuancer le constat d’échec dressé par l’auteur. Pour Fanny Hervé, les solutions apportées en ville pour les populations défavorisées n’ont pas permis d’inverser le développement séparé de l’apartheid. Cet échec est expliqué principalement par: (i) l’absence de planification spatiale et la difficulté des municipalités à porter une stratégie de développement urbain spatialisée et à long terme ; (ii) l’approche sectorielle en silo de la livraison de services urbains, en particulier pour le logement ; (iii) l’implication limitée de l’Etat, la complexité des relations entre les trois échelons de gouvernance ; (iv) la faiblesse des mécanismes participatifs. Aujourd’hui, même si la forme des grandes villes sud-africaines reste inquiétante en regard des objectifs de cohésion sociale, force est de constater que l’analyse du contexte sud-africain témoigne d’une forte volonté politique en faveur de l’intégration des populations urbaines défavorisées, d’une multiplicité d’initiatives innovantes, formulées et testées par les acteurs sud-africains eux-mêmes et d’une évaluation et remise en cause continue des politiques publiques et des solutions envisagées. A ce titre, la révision de la politique du logement en 2004 est assez emblématique des efforts fournis par le gouvernement sud-africain pour sortir de l’approche sectorielle : « Breaking New Ground » recommande une approche globale de l’habitat, prenant en compte les différents besoins urbains de la population (y compris donc l’accès aux bassins d’emplois et aux différents services municipaux) elle traite de la question des « sustainable human settlements » et non plus seulement de la question du « housing ». Selon nous, l’Afrique du Sud continue de s’imposer comme un laboratoire d’innovation urbaine intéressant pour les villes d’Afrique sub-saharienne: hier championne de la promotion de la cohésion urbaine sociale et spatiale, elle est aujourd’hui à la pointe des initiatives visant à mieux prendre en compte la dimension environnementale dans la planification et les stratégies de développement urbain. Bibliographie : ALBRECHT David et Jean-Pierre SCHAEFER (2012) L’impossible équation? La politique du logement social en Afrique du Sud. Paris, La revue Etudes Foncières KIHATO Michael (2012) Integrating planning and environmental issues through the law in South Africa: learning from international experience. Thèse de Master de Droit, University of South Africa, non publié MUKHEIBIR Pierre et and Gina ZIERVOGEL (2007) Developing a Municipal Adaptation Plan (MAP) for climate change: the city of Cape Town. Londres, IIED COLLIER Paul et Anthony J. VENABLES (2013) Logement et urbanisation en Afrique: libérer le développement du marché formel. Oxford, UKP Sites internet de reference: Gouvernement de la RAS http://www.gov.za/ National Department of Human Settlements http://www.dhs.gov.za/ National Department of cooperative government and traditional affairs http://www.cogta.gov.za/cgta/
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