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Vivre à Tananarive : géographie du changement dans la capitale malgache

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(2007)

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    9 years ago
    NOTE DE LECTURE : FOURNET-GUERIN Catherine, Vivre à Tananarive : géographie du changement dans la capitale malgache, Paris, Karthala, 2007, 427 p. A) CONTEXTE L’auteur situe sa recherche sur le thème de la ville, constatant que comme dans d’autres pays d’Afrique la capitale de Madagascar, Antananarivo, se trouve confrontée au processus de changement des territoires urbains. L’ouvrage publié en 2007 est issu de sa thèse de doctorat soutenue en septembre 2002 à l’Université Paris IV-Sorbonne. Depuis 2003, Catherine Fournet-Guérin est maître de conférences en géographie à l'université de Reims. Docteur en géographie, elle est également agrégée de géographie et ancienne élève de l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm. Elle poursuit des travaux de recherche au travers de plusieurs publications consacrées à Madagascar (problèmes urbains, identités, mutations économiques). Elle a également élargi ses travaux aux grandes villes d’Afrique subsaharienne dans une perspective comparatiste dans les domaines suivants : géographie urbaine des pays du Sud, géographie sociale et culturelle, géographie du développement. Son livre veut répondre à la question « que signifie vivre à Tananarive ? » en abordant les différents aspects de la vie citadine : rapport au paysage et à l’aspect de la ville, vie quotidienne (mobilité, espace vécu...). Mais ce livre essaie aussi d’établir quelle représentation les habitants se font de leur ville dans une situation de crise, de déstabilisation de l’identité. Constatant l’absence de programme de recherche international sur les villes malgaches (mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, voir ci-après) l’auteur va puiser ses informations dans quelques publications d’universitaires malgaches, dans la littérature « grise », dans la presse, mais surtout dans la parole des habitants : enquêtes auprès des ménages, entretiens libres. La méthodologie est donc délibérément « qualitative » mais basée sur des enquêtes dans des quartiers représentatifs, tant sur le plan géographique que sociologique. Il s’agit de cheminer entre une réalité qui parfois reste floue, complexe et même contradictoire et les représentations/aspirations des tananariviens avec tous les paradoxes que cela peut comporter. B) THEMES ABORDES Dans la première partie l’auteur cherche les origines de la crise de « déstabilisation de l’identité tananarivienne ». Pour ce faire elle part d’un constat, elle met en relief un élément particulier au « fait urbain » de Tananarive. Contrairement à d’autres grandes villes africaines, la ville reste encore imprégnée, aussi bien spatialement que dans le vécu et l’imaginaire des habitants, par la structure antérieure à la colonisation avec une organisation « altitudinale ». A l’origine, à l’époque des souverains mérina cette organisation recouvrait une hiérarchie sociale, avec une répartition du bas vers le haut selon la position statutaire. Les transformations liées à la période coloniale (segmentation en quartiers commerciaux, administratifs et résidentiels) n’ont pas entraîné comme dans d’autres villes africaines une ségrégation, une séparation des quartiers européens et indigènes. Mais l’étalement du site et son « déversement » dans la plaine avec le remblaiement de rizières et la volonté des dirigeants malgaches après l’indépendance de « moderniser » (à marche forcée ?) ont remis en cause l’organisation traditionnelle de l’espace. De même son statut de capitale est vécu de manière contradictoire. Mais c’est surtout la crise des années 1970 qui a provoqué des tensions. La seconde partie très vivante est très intéressante car elle nous permet d’approcher la vie quotidienne des habitants selon trois niveaux : la ville, le quartier, l’habitation. La ville reste marquée par la ruralité, les habitants étant de manière contradictoire tout à la fois sensibles à ce lien mais voulant s’en démarquer. Il existe ainsi un profond attachement à « son » quartier avec une hiérarchisation des lieux reprenant « la dichotomie fondamentale des représentations : l’opposition ville haute / ville basse ». Elle rappelle le propos de P. Bourdieu « il n’y a pas d’espace, dans une société hiérarchisée, qui ne soit pas hiérarchisé ». Elle aborde aussi l’importance de la maison avec son rôle fondamental d’ancrage familial et sa portée symbolique de rattachement à la terre. Cette analyse fait ressortir là aussi les crispations qui se développent à ces trois niveaux (ville, quartier, habitat). La troisième partie est consacrée à la « géographie du changement ». L’auteur établit le constat d’une déstructuration de l’espace public (privatisation, déprédations...) une banalisation des espaces. Deux événements ont profondément marqué, désorienté les Tananariviens : l’incendie criminel du « Rova », symbole de la royauté passée et du caractère merina de la ville, la suppression du traditionnel marché du « Zoma », lieu de rencontre et « berceau culturel ». Elle pointe aussi un fait nouveau : la montée des crispations identitaires tournées contre les « populations étrangères », qu’il s’agisse des « karana » (indo-pakistanais), des chinois, des comoriens mais parfois aussi des malgaches « côtiers ». Finalement, la réponse à sa question initiale « que signifie vivre à Tananarive » a un gout amer et fait ressortir les frustrations, les inquiétudes et les tensions : « la citadinité est un processus non achevé ». C) DISCUSSION ET BIBLIOGRAPHIE Ce livre est riche d’enseignements : c’est l’approche d’une personne qui s’est imprégnée du quotidien des habitants, qui a su décrypter une réalité complexe, qui donne une lecture originale du développement urbain, qui s’interroge sur la possibilité de vivre la ville comme un espace d’intégration. En observant l’évolution de la capitale malgache sur les dix dernières années (donc sur une période postérieure à la rédaction de la thèse de Catherine Fournet-Guérin) on peut tout à la fois retrouver les paradoxes de cette citadinité, constater que les difficultés et les tensions se sont multipliées mais en même temps entrevoir quelques signes positifs. 1) REFLEXIONS PERSONNELLES De conversations avec des habitants, de constats sur le terrain, de la lecture des journaux et de publications, je tire quelques réflexions (qui peuvent garder un caractère partiel et subjectif). L’habitat- l'occupation des espaces résiduels On constate toujours l’importance spatiale et altitudinale de l’habitat. Il existe une différence entre « vivre en haut » et « vivre en bas ». De manière très concrète puisqu’au début de l’année 2015 les quartiers bas de la ville ont subi de très graves inondations. Mais aussi dans la représentation, dans le lien que les habitants font entre leur statut social et leur lieu d’habitation. Autre élément à prendre en compte : l’habitat s’organise autour de la famille. Il faut citer le proverbe malgache « velona iray trano, maty iray fasana » (vivants on partage la même maison, morts le même tombeau). Les enfants ne quittent la maison parentale que lorsqu’ils se marient ou ne le quittent pas mais ils restent vivre avec les parents. Peut-être lié à cet aspect culturel, à l’attachement à « son » quartier, aux problèmes de disponibilité foncière on constate que des espaces souvent étroits et pentus à flanc de collines se couvrent très rapidement de constructions serrées les unes contre les autres, jusqu’à occuper des zones auparavant réservées à des cultures vivrières. Les espaces publics, l’espace public, les piétons Très impressionnant ces derniers mois : le long des avenues à proximité du centre-ville, tous les espaces publics disponibles deviennent des « halls » d’exposition à ciel ouvert pour la revente de véhicules d’occasion d’importation. Pourtant les déplacements dans Antananarivo se font essentiellement à pied ou en « taxi be » (minibus) et la capitale est déjà saturée par les embouteillages et la pollution. Les trottoirs, les places publiques servent au stationnement des véhicules particuliers ou sont envahis par les étals de commerçants. Il est très difficile et même dangereux d’être piéton à Tana. Espace public et contestation : en mars 2016 le tribunal administratif a validé l’arrêté de la Communauté Urbaine d’Antananarivo autorisant l’ouverture de la Place de la démocratie à Ambohijatovo. Ce lieu symbolique étant considéré comme un espace de liberté, on pourrait se réjouir que les citoyens puissent à nouveau s’y retrouver pour des réunions publiques qu’elles soient festives, religieuses ou politiques. En contrepoint, Il faut aussi noter que l’arrêté de la CUA s’inscrit dans une sorte de défi au pouvoir central, qui dans d’autres domaines pénalise la population (début 2016 le problème de l’évacuation en décharge des déchets solides). Fierté d’être un habitant de « Tana » A l’occasion de l’organisation du sommet de la francophonie en novembre 2016 on peut relever des réactions à première vue contradictoires : les critiques sont nombreuses contre les couts disproportionnés et le fait que les infrastructures crées ne profiteraient qu’à une minorité (les « affairistes » étant souvent mis en cause). Mais en même temps prédomine un sentiment de fierté d’avoir été choisi et la volonté de se mobiliser pour le bon aboutissement du projet. Les effets des crises des années 2000 – exaspérations identitaires – défiance à l’égard du politique Le pays en général et la capitale en particulier avait connu un rebond économique après 2002 avec la création d’infrastructures importantes, un regain d’activité et une amélioration des conditions de vie. Cette embellie n’a pas duré, en particulier suite à la crise institutionnelle de 2009 (« destitution » du président élu) qui a mis plus de cinq ans à trouver une solution. Les effets ont été immédiats, particulièrement sévères pour les populations les plus vulnérables (chômage, précarité...) mais aussi pour les « classes moyennes » qui avaient pu résister auparavant. On peut citer le cas des commerçants de quartier. Cela a pu aller jusqu’à contraindre certains d’entre eux à se séparer d’un bien immobilier, ce qui représente un sacrifice autant réel que symbolique. La crise a également frappé les employés, les petits fonctionnaires... Plus que jamais ces personnes doivent exercer une seconde activité « informelle » pour compenser la diminution des revenus salariaux. Dans ce contexte, les « étrangers », en particulier les « karans » et les chinois concentrent à nouveau des réactions négatives qui se retournent également contre la classe politique. La solidarité L’auteur du livre ainsi que d’autres observateurs de la vie malgache s’interrogent sur la disparition du « fihavanana ». C’est une notion, un vécu propre à la société malgache : la solidarité liée au sentiment d’appartenir à une communauté où chacun a besoin de l’autre. Malgré les effets de la crise économique on peut cependant constater que cette solidarité continue à s’exercer, les membres de la diaspora malgache sur les différents continents assurant le relais. Ceci est particulièrement vrai en cas de décès. La société civile prête à relever les défis ? Il existe, tant au niveau d’acteurs de la vie communautaire locale (organisations de quartier) que dans certains milieux professionnels liés aux problèmes de la ville, une réelle volonté de trouver des solutions adaptées et durables non seulement pour résoudre les problèmes les plus criants des quartiers défavorisés, mais aussi pour innover dans la structuration d’un « Grand Tana ». Encore faut-il qu’ils puissent voir leurs souhaits facilités et accompagnés par une « bonne gouvernance » réfléchissant et agissant sur du long terme. Urbanisation et programmes de recherche sur les villes malgaches (internationaux et nationaux) L’auteur relevait au début des années 2000 que les organismes ou spécialistes de la ville ne s’intéressaient pas beaucoup à Madagascar. Ce « biais anti-urbain » était également relevé par Carole Guilloux dans un rapport de stage de 2010. Il est vrai qu’il est difficile de trouver des références sur internet. J’ai l’impression que cela est en train de changer et en plus ce sont les malgaches eux-mêmes qui s’approprient ce sujet (Institut des Métiers de la Ville, associations de professionnels, universitaires...). Voir la bibliographie ci-après (les enjeux de l’urbanisation). 2) BIBLIOGRAPHIE Quelques publications de l’auteur du livre sur Antananarivo (disponibles sur internet) : FOURNET-GUÉRIN C., 2015, « Nouveaux lieux de sociabilité cosmopolites à Antananarivo : pratiques et représentations de l’exotisme », Territoires en mouvement : numéro Villes d’Afrique de l’est. Revue de géographie et aménagement http://tem.revues.org/2995 FOURNET-GUÉRIN C., 2014, « La rocade et la ville : contournement et détournement d’usages à Antananarivo (Madagascar) », Métropolitiques http://www.metropolitiques.eu/La-rocade-et-la-ville.html FOURNET-GUERIN C., 2014, « Paysages, usages et images de la nature dans une grande ville du Sud : quels enjeux à Antananarivo » http://www.projetsdepaysage.fr/fr/paysages_usages_et_images_de_la_nature_dans_une_grande_ville_du_sud_quels_enjeux_a_antananarivo_madagascar _ Concernant les enjeux de l’urbanisation Existerait-il un « biais anti-urbain » de l’aide au développement à Madagascar qui aurait entrainé un retard dans la mise en œuvre de réponses appropriées ? C’est la question posée en 2010 par Carole Guilloux dans un rapport de stage à l’Institut des Métiers de la Ville http://www.ville-developpement.org/docman-liste/autres/145-110111-memoire-c-guilloux-le-biais-antiurbain-oct2010/file Cependant, la Banque Mondiale a consacré en mars 2011 une étude sur l’urbanisation « nouveau défi malgache »2 qui met en avant une approche dynamique http://siteresources.worldbank.org/INTMADAGASCARINFRENCH/Resources/UrbanChallenge_final.pdf Quant à l’organisme «ONU HABITAT » il a édité en 2012 un rapport consacré à Antananarivo http://www.hayzara.org/BANQUE-DE-CONNAISSANCES/Themes-Transversaux/Madagascar-Profil-Urbain-d-Antananarivo-ONU-Habitat-2012 C’est également en mars 2012 que fut organisé à Antananarivo un séminaire international sur le développement urbain http://www.ville-developpement.org/docman-liste/autres/1209/447-120921a-actes-seminaire/file Il faut également noter la réflexion conduite par des professionnels malgaches lors de rencontres en décembre 2014 http://apumtana.blogspot.fr/ « Grand Antananarivo – une vision pour les mille » A propos des quartiers défavorisés Ouvrages : Harpet Cyrille, Le Lin Brigitte ; Vivre sur sa décharge d'Antananarivo - regards anthropologiques ; 2001 ; France ; L’Harmattan ; 240 p. Morelle Marie ; La rue des enfants, les enfants des Rues - Yaoundé et Antananarivo ; 2007 ; France ; CNRS collection société ; 282 p. Articles de revues : Wachsberger Jean-Michel ; Les quartiers pauvres à Antananarivo - trappe à pauvreté ou support des individus ? ; in la revue « Autrepart » ; n° 51 , 2009 ; PP 117 à 137 Wachsberger Jean-Michel, Roubaud François ; Les quartiers pauvres contre la démocratie ? Le cas d’Antananarivo, Madagascar ; in la revue « Afrique contemporaine » ; n° 220, 2006/4 ; PP 65-96 http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=AFCO_220_0065 et http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=AUTR_051_0117 Pour une approche de « l’identité malgache » Ouvrages : Alexandre Christian ; le malgache n’est pas une île ; Foi et justice ; Antananarivo ; 2003 ; 63 p. Rajeriarison Patricia, Urfer Sylfain ; Idées reçues Madagascar ; La cavalier bleu ; Paris ; 2010 ; 127 p. Von Barloewen Constantin ; Voyage à Madagascar, instants de sagesse quotidienne ; Editions des Syrtes ; Paris ; 2003 ; 156 p.
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