PhD thesis,

Entre espaces des flux et espaces des lieux : grandes villes d'Afrique Centrale, quartiers précaires et marchés de quartier.

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(2011)

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  • @marie.houdin

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  • @marie.houdin
    11 years ago
    Note de lecture Entre espaces des flux et espaces des lieux : grandes villes d'Afrique Centrale, quartiers précaires et marchés de quartier. Présentation générale de l'ouvrage Cet ouvrage est une thèse de Benjamin Michelon, finalisée en 2011 et réalisée sous la direction de Jean-Claude Bolay au sein du Centre Coopération et Développement de l'Ecole Polythechnique de Lausanne. M. Michelon est aujourd'hui urbaniste au sein du bureau d'études Groupe Huit. Il fut un de mes intervenants dans le cadre de mon master 2, ISUR (Ingénierie des Services Urbains en Réseaux dans les pays en développement) et nous avait alors parlé de sa thèse. Il a eu la gentillesse de me la communiquer et cette dernière m'a particulièrement intéressée, ayant moi-même eu la chance de pouvoir vivre à Kigali (cinq mois en 2013) et vivant aujourd'hui dans la ville de Douala. De plus, cette étude est un bon complément au cours, partant elle aussi d'une études de villes africaines pour analyser la planification urbaine et tirer des leçons sur la possibilité de bonnes pratiques urbaines. Cette thèse d'urbanisme se propose en effet de comparer ces deux villes : Kigali, capitale politique du Rwanda et Douala, capitale économique du Cameroun. A travers une approche historique (analyse des héritages culturels, des habitudes sociales et politiques) et pluridisciplinaire (droit, économie, sociologie urbaine), l'auteur a pu mener une approche comparative de ces deux villes. Dans un premier temps il a étudié globalement l'ensemble de la ville sur la base de plans, documents de planification et entretiens avec responsables locaux et documents d'archives. Dans un deuxième temps il a mené une étude locale sur l'un des marchés de quartier de la ville (celui de Biryogo à Kigali et celui de la cité SIC à Douala) à travers des observations, entretiens et questionnaire à partir d'un échantillon représentatif de commerçants et analyse sociale et spatiale du quartier. Idée générale et méthodologie L a base de sa réflexion, et qui donne son nom à sa thèse, s'appuie sur une thèse de Manuel Castells, de 1989 : dans la ville d'aujourd'hui, le rapport entre lieux et flux constitue le nouvel espace de vie et d'appartenance. L'espace des flux sont "les espaces de communications et de développement des réseaux entre les différents territoires de pôles urbains sur la planète.". L'espace des lieux sont "les espaces physiquement palpables et spatialement délimitables, constituant l'espace de vie des citadins". L'évolution de la société informationnelle aboutit à ce que les flux de pouvoir se transforment en pouvoir des flux, concentrés dans l'espace des flux qui domine de plus en plus les espaces des lieux, espaces périphériques des flux où se déroule la vie quotidienne. Les flux de communication, des réseaux entre différents territoires, la mondialisation, l'information qui ne sont pourtant pas physiques ont ainsi aujourd'hui plus de pouvoir que les espaces des lieux, pourtant phtisiques et tangibles pour les populations. Benjamin Michelon va surtout étudier l'évolution du processus d'urbanisation et de la place des quartiers précaires : quels sont les efforts aujourd'hui mis en œuvre par les autorités pour concilier l'impératif d'amélioration de la compétitivité des villes africaines avec les attentes des habitants des quartiers précaires ? Sa deuxième question, à laquelle il répond à travers l'étude des marchés de quartiers sera de se demander comment évoluent les espaces collectifs , les espaces de lieux composant ces quartiers précaires ? Quelle est la place de ces espaces, tels que les marchés, dans la vie du quartier. Pourquoi le choix de ces deux villes ? Présentation globale de ces deux villes Kigali est la capitale administrative, politique et économique du Rwanda. C'est une ville en reconstruction post-génocide 1994 qui compte aujourd'hui un million d'habitants dont 65% de la population vit dans des habitations précaires. Elle est la seule grande ville d'un pays enclavé, fait de collines et marais. C'est le centre administratif d'un pays encore très majoritairement peuplé de ruraux. Elle est aujourd'hui la vitrine urbaine du développement économique du pays : depuis 2000 avec l'apparition des immeubles, la (re)naissance urbaine s'organise dans le cadre d'un processus délicat de réconciliation nationale. Douala est une ville portuaire excentrée par rapport à la capitale politique Yaoundé mais reste le principal pôle d'échange du Cameroun. Avec ses 2.25 millions d'habitants Douala est victime de son succès économique et de l'absence de gestion urbaine. Depuis les années 70, la ville s'est hypertrophiée sans véritable planification urbaine. La population souvent livrée à elle-même, se révolte parfois comme en 2008 avec les émeutes de la faim. Les autorités locales et nationales sont impuissantes à mettre en œuvre une réelle politique d'urbanisation favorisant la maîtrise du développement urbain. Or, c'est une ville portuaire qui risque rapidement de perdre du terrain dans la compétition mondiale face à la concurrence accrue des autres plate-forme portuaires continentales voire nationales (Kribi). Etudier un modèle commun des villes d'Afrique Centrale M. Michelon fait le choix de comparer ces deux villes car il veut étudier un modèle commun des villes d'Afrique Centrale. D'un point de vue géographique, Kigali et Douala sont des villes importantes dans le classement des capitales économiques et politique d'Afrique Centrale (classées parmi les 12 villes de plus de 700 000 habitants). D'un point de vue historique, elles partagent un passé commun avec des pays colonisés par les allemands à la fin du XIXe siècle puis sous domination francophone (belge pour le Rwanda, française pour le Cameroun). Leur culture originelle commune a ainsi influencé leur gestion spatiale et la construction de ces villes. Cependant, s'est effectué une différenciation au fil du temps en fonction de leur positionnement géographique : Douala est un port, véritable porte d'entrée sur tout le pays et a dû grandir, gagner des terrains et viabiliser des espaces marécageux environnants tandis que Kigali se situe à l'intérieur des terres, loin de tout accès à la mer, dans un pays accidenté fait de 1000 collines. Une analyse politique pour faire apparaître de lourdes différences dans la gestion urbaine et le contrôle des autorités de l'urbanisation C'est surtout au niveau de l'analyse politique que la thèse de MIchelon est intéressante pour comprendre les conséquences possibles de l'implication de l'Etat dans la gestion urbaine ainsi que les antagonismes importants qui peuvent exister entre les habitants et les autorités locales et nationales. A Kigali, le dirigisme étatique, avec fin du génocide et l'arrivée de la nouvelle élite politique tutsie au pouvoir a mis en avant un modèle de croissance urbaine centré sur la modernisation du centre urbain. Pour redynamiser le pays, on assiste à un contrôle social fort et l'implication des investisseurs privés qui font appliquer les lois du marché et faire déguerpir les populations des quartiers précaires. Face à cela, la population subit l'action de l'Etat sans remettre en cause le système. Au contraire, à Douala l'intervention de l'Etat est très faible face à l'accroissement régulier de la tâche urbaine. Les actions de l'Etat et des collectivités locales sont encore très modestes au regard de la dynamique socio-économique et de l'activité incessante des nouveaux citadins. Privés de ressources et laissant les opérateurs privés développer leurs propres stratégies, les acteurs institutionnels doivent faire face à des rebellions. En effet, face à l'inaction de l'Etat, la population est habituée depuis des décennies à prendre son destin en main avec le commerce informel et la construction de nouvelles habitations. Une grande partie du développement de Douala se base sur une dynamique urbaine impulsée par la population, prompte à remettre en question la stratégie de développement développée par les gestionnaires. Kigali la vitrine de la modernité sous contrôle face à Douala la frondeuse incontrôlable Le choix de ces deux villes a également été effectuée pour faire ressortir les spécificités de Kigali qui fascine la communauté internationale avec ses rues propres et maisons bien alignée face à Douala, ville frondeuse qui est comme son film en négatif. A Kigali, depuis les années 2000, le pouvoir rwandais cherche à effacer les stigmates et la guerre à travers la modernisation de la ville et répondre à un afflux importants de nouveaux citadins venus se réfugier dans la capitale. Les nouvelles autorités ont fait appel à des bureaux d'études américains et Singapouriens pour des master plans mettant en avant une politique de développement durable cherchant à concilier un développement économique, le soucis majeur pour environnement et une réconciliation nationale tant vantée par le pouvoir. Les médias internationaux sont les relais des acteurs locaux pour magnifier les mérites d'un changement radical du visage de la ville. Dans la droite ligne des politiques pratiquées par les bailleurs de fond, Kigali vante l' implication des promoteurs privés dans gestion et développement de la ville. Or ce changement n'est pas sans sacrifices : la durabilité sociale et environnementale n'est pas si évidente, la richesse de la ville augmente globalement mais également des disparités importantes entre ceux qui intègrent la nouvelle idéologie urbaine (les proches du FPR, parti au pouvoir) et les habitants de plus en plus nombreux des quartiers précaires, rasés pour laisser place aux nouveaux investissement. De plus, l'image de la ville durable et compacte n'est pas encore celle que l'on peut observer. L'étalement urbain est important avec la localisation des logements huppés le long de la nouvelle rocade urbaine. On assiste à un développement de la ville multipolaire du fait de nombreuses contraintes environnementales relatives au relief et au site (marais et flanc de collines). La thèse de M. Michelon est que derrière la façade d'une nouvelle politique urbaine, le développement durable n'est qu'un prétexte à la mise en œuvre d'une idéologie ultralibérale et mettant en œuvre les intérêts d'un petit nombre. A Douala, depuis les années 2000 : ville continue à se développer en empiétant sur les marécages environnants . Avec cette urbanisation massive, on assiste également à un renouveau de la planification et mise en œuvre de projets dans la ville. Après la période difficile suivant l'opération "ville morte" (2008) et l'attente du déblocage des crédits liés à l'initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) de nouveaux financements sont arrivés pour permettre à la ville d'entamer un certain nombre de travaux de mise à niveau devenus une absolue nécessité (ex : travaux du pont). Mais cette mise en œuvre d'une politique de développement urbain se heurte à de nombreux blocages : le processus de décentralisation peine à se mettre en œuvre, les collectivités locales comme la CUD (Communauté Urbaine de Douala) et communes d'arrondissement peinent à mobiliser les financements nécessaires pour réaliser des grands projets. Parallèlement le problème foncier reste une des difficultés majeures : les terrains disponibles pour l'opposition de lotissements se trouvent en périphérie de la ville et les projets mis en œuvre n'offrent une réponse en terme de logements qu'à une clientèle aisée, capable de mobiliser les fonds nécessaires pour acquérir des terrains sur lesquels la spéculation est importante. Les trames urbaines en périphérie ne répondent pas à la demande, aussi bien sur le plan du nombre de logements offerts que sur le plan financier avec les prix des logements qui excluent une grande part de la population. Les tensions entre autorités et habitants est palpable. Quelques réalisations importantes (aménagements routiers) ont revalorisé le travail de la CUD mais la population reste toujours méfiance face à sa situation socio-économique difficile. Il existe une véritable dichotomie entre la ville formelle (ville coloniale) et la ville informelle (ville des kwatts). La ville duale s'est développée de manière radiocentrique en suivant les réseaux : disparités et fragmentation de la ville des espaces se stratifiant depuis les limites du noyau colonial. Conclusions de cette étude comparative sur la planification urbaine dans les villes d'Afrique A l'issue de cette thèse, M. Michelon émet des grandes hypothèses qui nous permettent de tirer des leçons sur la planification urbaine en Afrique. Pour lui, les processus d'urbanisation sont comme un rapport de force, entre pratique modernisatrice des décideurs en charge de la planification (Etat, autorités locales, bailleurs de fonds) et fabrication et usage par les habitants des quartiers précaires. La thèse qu'il avance est que pour obtenir un changement dans la planification urbaine, "au lieu de vouloir faire entrer les quartiers précaires dans la modernité, il serait plus judicieux de considérer la modernité des usages et pratiques des habitants qui ont sans cesse adapté leurs constructions et leurs modes de vie au fur et à mesure de l’évolution urbaine. Cette nouvelle façon d’envisager les quartiers précaires, représentant actuellement, au bas mot, plus de 60% de l’espace urbain, valoriserait les multiples facettes des usages et des appartenances, aboutissant à une meilleure intégration et appropriation par les habitants." On rejoint ici la thèse développée par M. Jérôme Chenal sur l'informel : l'informalité peut être une donnée positive avec un type de redistribution au potentiel fort. Il faut repenser les modèles différemment de la norme prescrite par les thèses se voulant modernisatrices et qui font de la pauvreté une donnée forcément négative sans penser au potentiel de changement de ces habitants. Benjamin Michelon va plus loin en critiquant la sacro-sainte notion du développement durable, selon lui, "le développement durable n’a pas permis de penser une nouvelle approche de la planification propre à une réalité sociale spécifique d’un pays longtemps sous urbanisé. Au final, plutôt que de promouvoir un développement durable à géométrie variable, il serait nécessaire de promouvoir une approche de la planification défendant une « écologie urbaine », telle que promue par Paquot qui « vise à questionner nos manières de vivre en ville (transports, consommation habitations, etc.) », voie hybride entre la vision utopique d’une « ville monde », réconciliée avec son passé et son environnement, et la mise en œuvre concrète prenant en compte les pratiques des habitants (Paquot, 1999)". Sur ce point, je ne suis personnellement pas d'accord avec lui, pensant que la notion de développement durable est très flexible et peut rester dans le même sens de la prise en compte des intérêts économiques, environnementaux et sociaux tout en rejoignant la notion d'écologie urbaine. L'essentiel pour moi n'est pas de se perdre dans la recherche de la bonne expression orale mais bien dans une bonne expression pratique de l'urbanisme en Afrique. Analyser historiquement, économique, juridiquement, sociologiquement, comme il le fait, l'urbanisation d'une ville : voilà la solution qui permet de relever les spécificités locales d'une ville pour ensuite savoir prendre en compte ses quartiers précaires et ses habitants pauvres et tirer des grandes leçons pour le futur de ces villes africaines.
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